LE DIEU MONTOU ET LE PALLADIUM THÉBAIN

Montou

Montou est un dieu primordial solaire de la région thébaine dont le culte perdurera jusqu'à la fin de l'histoire égyptienne ; toutefois, à la Basse Époque, en raison de la zoolâtrie ambiante, le culte de Montou se focalise sur celui de l'animal qui en est devenu hypostase terrestre, le taureau Boukhis.

Montou est avant tout une entité solaire et à ce titre s'incarne dans un faucon, mais il possède aussi une nature guerrière qui en fait un dieu-taureau. Son culte diffusera dans le reste du pays grâce aux souverains de la XIe dynastie (environ 2055-1650 av. J.-C.) qui, placés sous sa protection, réussissent à réunifier le pays sous l'autorité de Thèbes. Plusieurs d'entre eux choisiront d'ailleurs "Montouhotep" (Montou est satisfait) comme nom de couronnement. L'association de Montou à cette victoire explique pourquoi, dès le début de la XIIe dynastie, Montou devient un dieu guerrier, assujetti à Amon, le nouveau dieu d'empire, un rôle qu'il conservera jusqu'à la fin.

À partir de l'époque saïte surtout, et peut-être en réaction à la diminution progressive de l'influence des grandes cités du sud au profit de celles du Delta, Montou est vu comme la contrepartie en Haute Égypte de Rê d'Héliopolis, rapprochement qui a pu être favorisé par l'homophonie de leurs cités respectives (Iouny pour Ermant et Iounou ou On pour Héliopolis) donnant naissance à une figure syncrétique, Montou-Rê. Il en résulte un enrichissement considérable de la théologie de celui qui est aussi désigné comme Amon-Rê-Montou, soleil guerrier et créateur universel.

À partir du Nouvel Empire, la rhétorique officielle, telle qu'elle apparaît par exemple sur les parois des temples, fait essentiellement référence à la puissance combative dont le pharaon fait preuve, à la ressemblance de Montou. De nombreux souverains guerriers, tel Thoutmosis III proclameront s'être battu "comme Montou dans sa puissance". Dans le récit de la bataille de Qadesh (Ramsès II), on trouve de nombreuses références à Montou : "Sa Majesté marche en avant comme son père Montou, Seigneur du nome thébain" ; "Je suis comme Montou, je lance les flèches du bras droit" ; "je suis comme Montou en son heure, quand son attaque se produit". Le même Ramsès II se proclamera "Un Montou, fils de Montou" (un taureau, fils de taureau). Une relation spéciale s'installe d'ailleurs entre Ramsès II et Montou, dont témoigne l'existence d'une statue de culte du roi portant le nom de "Ousermaatrê Setepenrê, Montou-dans-les-Deux-Terres"
La littérature classique s'est également emparée de l'idée guerrier courageux et invincible = Montou. Ainsi, lorsque Sinouhé doit affronter "l'homme du Retenou", après sa victoire, il invoque Montou qui l'a inspiré.
De même les navires de guerre de pharaon étaient ornés de représentations de Montou brandissant une massue ou une lance ; on en trouve une fort belle représentation dans la tombe de Houy, TT40, que Nina Davies a su capturer avec son talent habituel, comme le montre l'image ci-contre.

Montou a trois parèdres, peu connues : Tjenenet à Ermant, Tod et Medamoud, Iounyt à Ermant et Rettaouy à Karnak.

La représentation la plus commune de Montou est anthropozoomorphe, avec un corps humain et une tête de faucon surmontée d'un disque solaire entouré d'un double uraeus, avec à l'arrière deux hautes plumes droites. Au début de la XVIIIe dynastie, Montou peut, exceptionnellement, prendre la forme d'un féroce griffon ailé.
Pendant la période ramesside existe une certaine confusion entre l'iconographie de Montou et celle de Khonsou, le dieu-fils de la triade thébain.
Plus tard, alors que se développe le culte du taureau Boukhis, Montou sera représenté comme un homme avec une tête de taureau (image de droite et sur les murs du temple de Tod, ).
Sur les reliefs des temples, Montou-Rê de Haute Égypte fait souvent pendant à un autre dieu solaire, Atoum de Basse Égypte, pour escorter le pharaon devant Amon.
Montou règne sur toute la Thébaïde, et les épithètes qui le caractérisent sont souvent les mêmes que celles employées pour Amon : "Grand dieu" ; "Roi des dieux" ; "Seigneur de Thèbes".

Le Palladium thébain

Il existe dans le quatrième nome de Haute Égypte (la région thébaine) quatre centres de cultes dédiés à Montou, formant ce qu'on appelle "le Palladium Thébain" (Palladium = objet considéré comme le garant du salut d'une nation, d'une cité", Le Grand Robert) :

  • Ermant (Iouny, Hermonthis ou On qui désigne dans ce cas l'Héliopolis du Sud), où se trouve le sanctuaire primordial de Montou, est situé au sud-ouest de Thèbes, sur la rive gauche du Nil. Pour mémoire, la Mission Archéologique des Temples d’Ermant (IFAO et Institut d'égyptologie de Montpellier) a pour objectif de remettre à l’honneur ce site de première importance, tant sur le plan religieux qu’historique.
  • Tod (Djeret ou Djerty) qui en est proche, mais sur la rive droite, le rejoint, au plus tard à la XIe dynastie.
  • Medamoud (Medou), dont les traces les plus anciennes datent de Sesostris III est également sur la rive droite, mais au nord-est.
  • Karnak nord est un site actuellement très ruiné, situé en dehors de l'enceinte du grand temple. Amenhotep III y fait construire un temple à Amon-Rê. Mal fait, ce bâtiment s'effondre et les Kouchites (?) le rebatissent et le consacrent à Montou-Rê, un choix qui sera réaffirmé à l'époque ptolémaïque.
    Ainsi se trouve formé ce que Drioton a appelé "la forteresse morale" de Thèbes.

Le taureau Boukhis

C’est le moins bien connu des trois grands taureaux sacrés de l’ancienne Égypte (Apis de Memphis, Mnevis d'Héliopolis, Boukhis d'Ermant). Son culte n'a guère dépassé les limites de la région thébaine, mais là il atteint une notoriété extraordinaire ; des monnaies seront même frappées à son effigie à l'époque romaine. Si un culte à un obscur taureau en lien avec Montou est attesté dès le Nouvel Empire, la mise en relation formelle entre Montou et Boukhis est postérieure à l'époque saïte, quand les thébains ont voulu eux aussi avoir leur grand taureau sacré pour faire pendant à Apis et Mnevis, dont il partageait les critères de choix (ce qui ne l'empêchait pas d'être appellé "le taureau blanc" alors que, comme Apis, il était noir…).

Le Bucheum d'Ermant, retrouvé dans les années 30, correspond à la nécropole du taureau sacré Boukhis. Il représente l'équivalent du Serapeum de Memphis pour Apis. Les restes archéologiques témoignent d'une utilisation pendant au moins sept siècles, depuis le règne, à la XXXe dynastie, du dernier pharaon indigène Nectanébo II (360-343 av. J.-C.) jusqu'à celui de l'empereur romain Constance II : la dernière date d'inhumation d'un Boukhis qui nous soit parvenue est 340 de notre ère (image de gauche : stèle dédiée au taureau Boukhis-neb-Djeret par Ptolémée V, 181 av. J.-C. Musée du Caire. Provient du Bucheum d’Ermant et accompagnait la sépulture du taureau mort en l’an 25 de Ptolémée V).
Le Bucheum est désigné comme "le château d'Atoum" où descend l'Osiris-Boukhis, image du soleil mort, tandis qu'à Ermant on vénère le nouveau taureau, "image vivante de Montou".

(pour plus de détails sur les bovidés en Égypte ancienne, voyez l'article )