Qu'on le nomme Rê, Ré, Ra (voir pourquoi ), le grand dieu démiurge d'Héliopolis représente "le dieu soleil" au sens large du terme, personnalisant aussi bien l'astre en tant qu'entité physique que la force divine qui se trouve en lui. Rê est respecté et adoré dans toutes l’Égypte et de nombreuses divinités ne devront leur légitimité solaire qu'en récupérant des fonctions de Rê, ainsi Amon-Rê, Khnoum-Rê…

LES REPRÉSENTATIONS DE RÊ

La lionne et le taureau sont utilisés pour montrer la puissance, la dangerosité et la fertilité liées à l'astre. Le taureau Mnévis est d'ailleurs l'animal sacré de Rê à Héliopolis.
Le faucon Horus (Horus le grand ou l'ancien), dont le nom signifie "l'éloigné" représentait idéalement le soleil à son apogée.
Aton désigne le disque en tant qu'entité physique. Il peut d'ailleurs servir à désigner également la lune. C'est à ce dieu solaire par excellence

qu'Aménophis IV fera appel lorsqu'il voudra contrebalancer l'influence théologique du clergé d'Amon, et pour d'autres raisons (cf ).
Les différentes phases de l'existence du soleil ont été évoquées par les Égyptiens.
Toute circulation se faisant par le Nil, on imagine que Rê circule dans une barque sur un Nil céleste pour décrire son périple.

a) Le matin :

A sa naissance, le soleil (comme le défunt d'ailleurs, lorsqu'on le voit sortir de la montagne de l'Occident) est décrit comme un "jeune veau à la bouche de lait". Khépri, représenté comme un scarabée exprime cette idée de naissance. Le coléoptère pousse devant lui une boule de glaise contentant sa nourriture et dans laquelle il déposera ses œufs. À l’éclosion, les petits scarabées semblent surgir de cette boule, ce que les Égyptiens ont immédiatement associé à l'idée de renaissance.

b) A midi :

L'astre majestueux dans toute sa puissance est représenté par le faucon sous la forme de Rê-Horakhty associant le faucon, le disque solaire et l'Uraeus. C'est aussi le Kamoutef c'est-à-dire le taureau de sa mère, possesseur de toute sa vigueur génésique.

c) Le soir :

C'est Atoum. Le démiurge créateur d'Héliopolis, dont Rê a récupéré les fonctions, peut sembler déplacé dans l'image de l'astre vieillissant (il sera même représenté à la basse époque par un vieillard appuyé sur une canne). Les Égyptiens, qui raisonnaient en terme de cycles éternellement renouvelés, ont voulu amorcer celui de la renaissance en plaçant en fin du cycle précédent un dieu potentiellement jeune et vigoureux.

d) Devenir nocturne du soleil :

Cet aspect a été essentiellement développé au Nouvel Empire. Les Égyptiens pensaient que la terre était plate et que le soleil disparaissant à l'horizon chaque soir, Rê changeait alors de moyen de transport et montait dans la barque de la nuit qui circulait sur le Nil souterrain.
Pendant que le monde d'en haut était dans l'obscurité, le dieu parcourait les douze heures de la nuit dans le monde souterrain (la Douat), faisant bénéficier ses habitants de sa lumière et de sa chaleur. Ceux-ci retombaient en léthargie lorsque l'astre les quittait.

Dans ce périple Rê est souvent représenté comme un personnage à tête de bélier (Iouf), représentant la fusion du Ba de Rê et de celui du dieu des morts . Cette fusion est théologiquement très importante puisqu'elle peut faire de Rê un dieu funéraire et faire absorber par Osiris des fonctions solaires. On trouve ainsi dans la tombe de Séthy 1er les formules : "Osiris se repose en Rê et Rê se repose en Osiris". On dit aussi qu'Osiris est "hier" et Rê est "demain".
Le voyage nocturne est périlleux, les forces du chaos incarnées par Apophis essayant sans relâche de renverser la barque. Le lever du soleil au matin traduit le triomphe des forces organisatrices sur le chaos, la victoire de la .Chaque jour est donc pour les Égyptiens comme une nouvelle création du monde qui n’est pas retourné au chaos des origines.
La science moderne a constaté cette tendance permanente de l'organisé vers l'inorganisé et a baptisé ce phénomène l’entropie… Seul le nom change, mais on n'en sait toujours pas plus sur l'essence du processus.

RÊ ET LA ROYAUTÉ

L'Ancien Empire est la pleine période de gloire politique de Rê , même si son influence reste immense pendant toute la longue durée de l'histoire pharaonique.
Le premier roi à incorporer le nom de Rê est Neb-j-Rê ("Ré est mon seigneur") à la deuxième dynastie. Dans la région d'Héliopolis-Memphis, à la Ve dynastie, les temples solaires à ciel ouvert se multiplient. Ils sont centrés autour d'une forme d'obélisque représentant le tertre primordial: le Benben.
Les pyramides représentent le symbole le plus monumental de la puissance solaire.
Qu'on imagine qu'à l'origine elles étaient recouvertes de calcaire de Tourah aussi blanc que la neige, visibles à des dizaines de kilomètres. Rayons de soleil pétrifiés, les pyramides sont la représentation la plus spectaculaire de la gloire des rois d'Égypte dont la destinée post-mortem à cette époque est de monter au ciel par leur intermédiaire pour devenir une étoile et accompagner le soleil.
À partir de Djedefre (le successeur de Chéops, IVeme dynastie), les rois d'Égypte prennent un nom de "fils de Rê" qui sera inclus dans la titulature royale jusqu'à la fin de l'histoire pharaonique.
Sous la VIe dynastie, Rê a acquis le statut de véritable dieu créateur et les autres dieux créateurs se retrouvent syncrétiquement accolés à lui.

ATOUM-RÊ

Après avoir pris conscience de son état dans le chaos indifférencié des origines (le Noun), le dieu démiurge Atoum a créé le monde en commençant par la lumière et la chaleur qui dans un second temps seront matérialisés par le disque solaire. Rê est ainsi inséparable d'Atoum, représentant de la dynamique du monde créé.
Étant seul, Atoum ne peut que tirer de lui-même, par masturbation ou crachat, le premier couple sexué représenté par Shou et Tefnout. Tous deux sont les vecteurs de l'expression matérielle du soleil.

Shou représente la lumière et le souffle vital. C'est Shou qui constitue l'espace entre le ciel et la terre dans lequel la vibration lumineuse se manifeste, véritable "éther" véhiculant les rayons solaires. On peut se le représenter en regardant l'espace lumineux que l'on voit se dessiner lorsque des rayons de soleil filtrent à travers des nuages (comme ).

Tefnout représente un vecteur de la chaleur et non de l'humidité comme il avait été initialement proposé) et également l'orbite céleste de l'astre. Shou est ainsi dénommé "Vie" et le signe hiéroglyphique Ankh est une forme du dieu.
Tefnout, véhiculant la partie dangereuse (la chaleur) de l'astre est associée à la puissance ou représentée par le signe Ouas. Elle s'identifie à puisqu'elle est l'ordre cosmique.
Ainsi, Shou et Tefnout sont inséparables entre eux et du soleil lui-même ce que l'on représente parfois en les montrant sous forme de deux lions entre lesquels se trouve soit le soleil, soit un signe Akhet (qui représente le lever du soleil entre deux collines). Les deux pylônes des temples ont la même signification.

LES MYTHES EN RAPPORT AVEC RÊ

a) L’œil de Rê :

Il donne lieu à de nombreuses interprétations qui nous semblent parfois contradictoires.

Ainsi, la fille du soleil va aussi personnifier son œil. Pour régner sur la création et dispenser lumière et chaleur, Rê doit se déplacer : c'est son œil (qui le représente en totalité) qui assure cette fonction. Après de nombreuses péripéties, racontées différemment dans le "livre de la vache du ciel" ou dans les mythes concernant la déesse lointaine, l'œil finit par revenir vers son père Rê qui le réintégrera sur son front sous la forme de l'Uraeus.
L'œil solaire fait pendant à l'œil lunaire d'Horus le jeune. L'un sera ramené, et l'autre soigné par Thot. Les deux yeux finissent par se confondre pour réaliser l'Oudjat.

b) Le "livre de la vache du ciel" :

Composition datant du nouvel empire, retrouvée pour la première fois dans la tombe de Sethy 1er. Rê a vieilli, et il est même devenu gâteux !… Les hommes, crées par ses larmes selon la théologie héliopolitaine (jeu de mot Rêmyt-larmes et Rêmtj-hommes) se révoltent contre lui et se réfugient dans le désert. Pour les punir, Rê choisit son œil qui est aussi sa fille.
Plusieurs déesses dites "dangereuses" sont susceptibles de personnifier cet œil : Sekhmet, Hathor, Tefnout, Maat, …
Ainsi Rê déclare qu'il va exercer sa puissance (Sekhem) sur les hommes et "c'est ainsi que Sekhmet est advenu". C’est encore une illustration de ces jeux de mots créateurs dont les Égyptiens sont si friands.
L'œil-déesse gagne sous forme d'une lionne sauvage le désert et massacre les hommes rebelles. Rê n'arrive plus à arrêter sa fille et craint que toute l'humanité ne périsse si elle revient sous cette forme en Égypte.
Et ici il faut se rappeler que la période précédant l'inondation est celle où l'eau manque, celle des canaux est croupie, et les maladies s'abattent donc sur les hommes plus encore que d'habitude, et la mortalité augmente. Mais, comme toujours en Égypte ancienne, si Sekhmet est vectrice de maladies, elle est également la déesse capable de les guérir, et la plupart des médecins semblent avoir été prêtres de Sekhmet.

Ainsi donc pour calmer les effets désastreux de la colère de la lionne sauvage, on décide d'employer la ruse : une grande quantité de bière fut teintée en rouge par l'ocre d'Eléphantine. On répandit cette liqueur autour de la lionne endormie qui, en se réveillant, la prend pour du sang et en boit jusqu'à l'ivresse. Repue, elle abandonne son projet de tuer tous les hommes.

Ce mythe véhicule sous une forme imagée une explication égyptienne d'un phénomène bien réel : l'inondation et ses rapports avec la géographie du pays. Pour l’égyptien, le désert est un lieu du chaos, du désordre et ceux qui y sont réfugiés sont des rebelles à l'ordre cosmique, à la Maat (nomades, tribus bédouines…).
La lionne-œil représente la chaleur brûlante de l'astre qui se manifeste à son maximum d'effets destructeurs dans le désert, y interdisant la vie. Le rayonnement solaire doit donc être compensé, équilibré par d'autre chose avant d’atteindre l’Égypte : l'inondation. Celle-ci survient en plein été au moment où la chaleur est maximum et elle entre en Égypte par Eléphantine (à partir d'une grotte mythique où le dieu Khnoum la tient sous sa sandale). Charriant au début des limons ferrugineux, elle a un aspect rougeâtre : comme la lionne arrête son acte de destruction après absorption de la bière rougie, la chaleur potentiellement mortelle du soleil est compensée par la montée des eaux.

La lionne ne rentre pas sous sa forme dangereuse en Égypte, elle redevient Hathor la belle dame de l'amour et de la vie. Ainsi ont lieu chaque année à la venue de la crue les fêtes de Hathor où l'on boit jusqu'à l'ivresse de la bière, mais aussi du vin (couleur rouge), faisant d'Hathor la maîtresse de l'ivresse. Hérodote a décrit ces fêtes plus ou moins orgiaques.

La déesse possède ainsi, comme toutes les déesses égyptiennes, un double aspect positif et négatif. Ici elle conjugue la force solaire et l'eau.
Un rite spécifique dit "Se-hetep-sekhmet" est mis en œuvre. Littéralement il signifie "rendre Sekhmet apaisée". En fait, il s'agit de détourner l'agressivité des rayons solaires qui ne doit pas s'exercer en Égypte mais rester limitée au désert ou siègent les ennemis de l'ordre universel.

c) Le mythe de la déesse lointaine :

Il se rapproche du précédent. Il apparaît à une époque tardive sur les parois des temples de Nubie (notons que c’est le lieu d'ou vient l'inondation pour l'égyptien).
Pour des raisons peu claires, l'œil du soleil s'est éloigné de lui. Il représente sa force et sa chaleur matérialisées par une des déesses dites dangereuses (Hathor, Sekhmet, Tefnout, Maat, ..). La déesse a gagné sous forme de lionne les régions du sud ou elle exerce librement sa force ravageuse. Rê redoute de la faire revenir malgré son désir car elle représente à la fois sa force agissante, sa distraction (car la déesse est aussi son épouse) mais aussi une menace si elle est incontrôlée.
Shou et Thot sont désignés pour ramener la déesse, mission très délicate, car la féroce lionne semble peu disposée à revenir.
Les deux dieux se métamorphosent en petits singes. Ils s'approchent de la déesse qui veut les dévorer, mais ils réussissent à la convaincre de n'en rien faire, faisant valoir qu'ils pourraient lui être utiles un jour.
Quelque temps après, la lionne tombe dans un piège dont les deux singes la délivrent. On reconnaît ici l'histoire dont se sont inspirés Ésope et La Fontaine pour sa fable "le lion et le rat".
Les singes la convainquent alors de revenir en Égypte. Arrivée à Éléphantine, comme il n'est pas question de laisser cette lionne déchaînée entrer dans le pays, les singes la poussent dans l'eau de la première cataracte et de lionne elle devient la douce chatte Bastet, déesse du foyer, qui sera fêtée dans toutes les villes d'Égypte. On retrouve ici encore le double visage potentiel d'une divinité.

Ce mythe recouvre une réalité géographique : à partir du solstice d'été, le soleil déclinant s'éloigne vers le sud-est puis après le solstice d'hiver il revient vers le sud c'est à dire vers le lieu d'ou arrive l'inondation d'été. Là encore on explique par un mythe ce qui était inséparable mais semblait contradictoire : le paroxysme de la force solaire coïncide avec l'arrivée de l'inondation.