VOYAGE AU BOUT DE LA VIE - WOLFGANG LAIB & ANTHONY GORMLEY

Le Palais des Beaux-Arts de Lille a voulu établir un lien entre l’exposition Sésostris III et l’art moderne. Le titre de "Voyage au bout de la vie" fait directement référence aux croyances des égyptiens en une vie après la mort. Les deux artistes choisis présentent des œuvres qui ont un lien assez évident avec les Égyptiens.
Le Britannique Antony Gormley et l’Allemand Wolfgang Laib sont parmi les créateurs actuels dont les liens avec l’art des Égyptiens sont les plus évidents et les plus pertinents. Nés tous deux en 1950, à Londres pour le premier et à Metzinger pour le second, ils ont aussi en commun le fait de se consacrer à la sculpture depuis les années 1970. L’artiste britannique voue son art à la figure humaine en utilisant son propre corps comme modèle et sujet. Le plasticien allemand travaille essentiellement avec des matériaux naturels - pollen, lait, riz et cire - pour leurs consonances symboliques et cosmogoniques. L’un et l’autre se concentrent sur des cycles d’œuvres, les incarnations allégoriques de l’homme pour Antony Gormley, la spiritualité des formes pures pour Wolfgang Laib. Les sculptures du premier, les installations du second se conjuguent avec une spiritualisation de la matière qui renvoie aux plus anciens langages mythiques et qui emporte loin au fond de notre inconscient culturel.

Wolfgang Laib : Passageway. Inside - Downside

L'oeuvre se réfère à la barque solaire dans la mythologie égyptienne. L’installation se compose d’une centaine de vaisseaux en cuivre doré voguant sur du riz blanc. Métaphorique du transport des âmes, elle illustre le passage d’un état à l’autre, du corps à l’esprit, du matériel à l’immatériel, de la vie à la mort. Ses vaisseaux symboliques paraissent transporter sur la barque de Rê la communauté des "justifiés" vers l’Occident où "terre et ciel, les divins et les mortels, sont une seule chose" (Martin Heidegger).

La Zikkurat de l’artiste allemand synthétise l’architecture et la fonction de la pyramide à degrés. Vue de face, elle est de forme triangulaire, de profil, elle configure un escalier. L’une fusionne avec l’autre pour allégoriser la montée vers la lumière. Sa composition en cire d’abeille participe aussi de cette métaphore spirituelle. Le parfum de miel véhicule un agréable sentiment d’élévation, qui enveloppe et qui inspire le bien être, comme une suspension du temps.

Antony Gormley : Home and the world - Tree - Rise

La parenté des œuvres d’Antony Gormley avec l’art égyptien est manifeste. À l’image de la statuaire antique que l’artiste revendique comme modèle de "présence", ses oeuvres questionnent le passage symbolique de la représentation à l’incarnation. Elles parient sur la force évocatrice du minéral qui transfigure le corps pétrifié en une « altérité » qui réfléchit nos interrogations sur les origines et sur la mort. Les oeuvres d’Antony Gormley sont plus que des images, comme les momies sont plus que des cadavres. Elles nous familiarisent, comme les momies, avec la présence "vivante" de la mort. Elles relèvent de l’injonction pénétrante de L’esprit humain qui espère malgré tout.

À l’image des momies, les trois pièces du sculpteur, Rise, Home and the World II et Tree nous incitent à croire en une "autre" vie, plus complexe que la raison parfois ne veut l’admettre, par-delà les religions, par-delà les hypothèses d’une âme craintive et par-delà les résistances de l’incrédule. Leur aspect proche de la pétrification des corps momifiés montre que la chair est, comme le dit l’artiste, une "matière lucide et lyrique, [qu’]elle chante sa dissolution".