Cet bref article vous propose de découvrir un temple méconnu du Delta, qui pourrait être reconstitué.
Ce texte a été réalisé d'après une conférence publique de Mme Christine Favard-Meeks. Merci à elle d'avoir bien voulu corriger ce résumé.

SITUATION DU TEMPLE

Situé en plein centre du Delta, Behbeit el-Hagar se trouve à une quinzaine de kilomètres au nord de la ville antique de Busiris (dont on pense que le dieu Osiris pourrait être originaire).

Le site, potentiellement un des plus beaux du Delta, est actuellement très ruiné, et continue à être ravagé par les villageois des environs qui ont de toute antiquité découpé les blocs de granit s'y trouvant, mais s'y est aussi associé plus récemment le vandalisme avec la découpe de fins reliefs destinés à être revendus.

Le temple a été fondé par Nectanébo II (360-342 av. J.-C), dernier souverain indigène, et on y retrouve des traces de l'oeuvre de Ptolémée II (285-246 av. J.-C) et III (246-222 av. J.-C). Puis plus aucune attestation datée d'un règne suivant. On peut affirmer que le temple a été abandonné très tôt, peut-être à la suite d'un effondrement en rapport avec un tremblement de terre. En effet, si un édifice aussi important avait encore été en service après Ptolémée III, les pharaons lagides et les empereurs romains y auraient certainement laissé une trace.
Ceci est confirmé par le fait que, malgré la grande surface disponible, aucun bâtiment n'a été retrouvé dans le témenos. Par ailleurs, les paysans qui se rapprochent régulièrement du temple pour leurs cultures ne semblent pas avoir sorti de terre d'objets d'époque gréco-romaine.

Pendant très longtemps, on a cru le sanctuaire consacré uniquement à Isis. Dès l'antiquité déjà, les auteurs grecs puis romains visitant l'Égypte parlaient d'un "temple d'Isis célèbre".

Bien qu'écroulé, il est probable que des dévots de la déesse soient demeurés autour du temple encore longtemps après que l'activité cultuelle se soit interrompue.
C'est à ce point vrai que l'on a retrouvé un bloc de la seule chapelle décorée sous le règne de Nectanébo II (la chapelle d'Osiris-gainé que ce roi vénérait tout particulièrement) dans le temple d'Isis a Rome, ce qui illustre l'importance du lieu pour le culte de la déesse. La confusion a été perpétuée par les premiers voyageurs à avoir décrit le site au XVIIe et XVIIIe siècle.
La présence de nombreuses têtes d'Hathor sur les blocs de frise effondrés les a confortés dans l'idée d'une déesse féminine, et ces érudits ont assimilé le site à l'Iseion des auteurs classiques.

ASPECT GÉNÉRAL

Le temple était bâti entièrement en granit, et entouré par une muraille de la même pierre tandis que l'enceinte qui délimitait le temenos était en brique crue. Ses dimensions devaient être d'environ 100m de long sur 60m de large. À l'avant, une salle hypostyle comportant des colonnes dont le nombre est difficile à préciser en raison de leur état fragmentaire devait se trouver devant l'entrée du sanctuaire. Il ne persiste aucune colonne intacte, mais on peut estimer leur diamètre à 1,50m.

DESCRIPTION ET FONCTIONS RELIGIEUSES

On suppose qu'il existait une porte monumentale de très grande taille à l'entrée du sanctuaire d'Isis proprement dit.
Grâce à une base de données de tous les blocs numérotés et photographiés par Mme Meeks, de nombreux murs ont pu être reconstitués et leur arrangement en registres précisé.
C'est ainsi que l'on sait que tous les soubassements des murs sont décorés de génies du Nil.

Le temple est conçu pour avoir des chapelles sur le toit, mais l'effondrement de celui-ci a amené les blocs le constituant à se mêler à ceux des salles sous-jacentes, rendant les reconstitutions très difficiles.

Isis est très présente à Behbeit el-Hagar mais sous une forme un peu particulière de déesse primordiale, universelle, et surtout comme celle qui présente les offrandes à son frère Osiris et celle qui le protège.
Isis joue aussi le rôle de déesse des festivités, puisqu'il y avait de nombreuses fêtes qui empruntaient toutes des chemins différents dans le temple.

Le temple comportait une ouabet (place pure) au sud du sanctuaire, où l'on conservait l'image d'Isis sous sa forme de faucon.
À la sortie de la ouabet se trouvait un escalier monumental couvert menant au toit où des rites importants devaient se dérouler.
Le couloir parallèle au sanctuaire d'Isis, dont les parois externes étaient aussi décorées, conduit aux quatre chapelles osiriennes situées au fond du temple. Du nord au sud ces chapelles sont toutes dédiées à une forme différente d'Osiris.
Elles comportaient une partie basse et une partie haute sur le toit.
On n'a retrouvé qu'un seul bloc de la double chapelle du hwt-ser mais un peu plus de la chapelle dédiée à "Osiris qui s'éveille bien portant". Celle-ci représente une synthèse de tous les Osiris du Delta.

Sur le toit, on propose de placer la chapelle d'Osiris-gainé, qui date de Nectanébo II et qui est différente des autres. Elle ne comporte qu'un seul registre de tableaux d'offrandes à un Osiris qui, régénéré par ces offrandes, a perdu sa gaine en renaissant en jeune dieu. Dans le registre supérieur, on ne trouve qu'une seule offrande royale, faite à une série de divinités assises qui devait occuper tout le tour de la chapelle. On y fabriquait annuellement, selon un rituel spécifique, les simulacres d'Osiris. Ces statues osiriformes ne sont pas des Osiris végétants (aucune graine végétale n'était utilisée dans leur fabrication) mais des simulacres d'argile. La chapelle dite "maison haute" ou per-qa est l'endroit de conservation des petites statues d'Osiris. On pense que sur le toit devait se trouver un tabernacle pour conserver la statue de l'année. C'est ici aussi qu'on trouve la plus grande concentration de divinités zoomorphes.

Finalement, il apparaît que Behbeit el-Hagar est un temple essentiellement destiné à la renaissance d'Osiris, et donc du roi, de toutes les façons imaginables. Avant le règne de Nectanébo II, il existait déjà en ce lieu un culte des statues funéraires des rois saïtes probablement en relation avec une bâtisse ou un cimetière. Ayant probablement ce fait en mémoire, les théologiens égyptiens, dans un dernier sursaut, ont fait appel à tous les cultes du Delta, à tous les rituels qu'ils avaient en leur possession pour essayer de sauvegarder la fonction royale traditionnelle et son rôle protecteur de la terre d'Égypte.

Isis est ici pourvoyeuse d'offrandes pour Osiris et assume un rôle de protectrice de tous les aspects du dieu. En retour, elle est assimilée dans son sanctuaire à une déesse universelle, comparée à Atoum. Elle a ainsi acquis un rôle qu'elle n'a pas toujours eu dans la religion égyptienne. C'est dans ce rôle de déesse universelle et protectrice que son culte se répandra dans tout le bassin méditerranéen.

CONCLUSION

On insistera sur le fait que le temple de Behbeit el-Hagar représente un monument unique, comportant des blocs dont les reliefs sont d'une qualité exceptionnelle. Il est urgent de préserver et de reconstituer cet édifice avant que les dégradations liées aux actions conjointes de l'érosion éolienne, de la pollution et du pillage ne fassent disparaître un des plus beau monument du Delta.

Vous pouvez télécharger un texte plus exhaustif sur le temple, par Raymond Betz (Groupe d'Étude Égypte)
Par ailleurs, Ch. Favard-Meeks a publié (en Anglais) un très intéressant complément, richement illustré