Le village - La communauté

(Dernière mise à jour : 06/09/2023)

Avant d'examiner la question des tombes de Deir el-Medineh, il est nécessaire de situer rapidement la communauté dont nous allons parler et les particularités qu'on y rencontre, qui sont susceptibles d'expliquer certains caractères spécifiques de leurs sépultures.

Après la réunification de l'Égypte sous la houlette des princes thébains, qui met fin à la Seconde Période Intermédiaire, les nouveaux rois qui forment la XVIIIe dynastie décident d'aménager leurs sépultures au pied de la montagne thébaine, dans un ouadi désolé qui deviendra la Vallée des Rois. Pour cela, ils ont besoin d'artisans qualifiés, et c'est ainsi qu'Aménophis (Amenhotep) 1er (second souverain de la XVIIIe dynastie, ± 1525-1504) crée une troupe spéciale d'ouvriers affectés à cette tâche, les "serviteurs dans la Place de Vérité", forme abrégée du titre complet : "ceux qui entendent l'appel dans la Place de Vérité". Toutefois, Aménophis 1er n'est pas le fondateur du village proprement dit, qui sera le fait de son successeur, Thoutmosis 1er (1504 -1492) qui fait édifier, dans un valon désertique situé derrière la colline de Gournet Mouraï, "pa demi", "la ville", que nous connaissons aujourd'hui sous le nom de Deir el-Médineh. Le village est ensuite agrandi plusieurs fois, d'abord à l'époque Hatchepsout-Thoutmosis III, puis sous les Ramessides, période où il connut son plein développement.
C'est Aménophis 1er (et non son fils), qui fut considéré par les artisans comme leur principal bienfaiteur, et qui bénéficiera, ainsi que sa mère, la reine Ahmès-Nefertari, d'un culte très populaire au sein de la communauté (nous lui avons consacré une ).

Le village est une institution royale destinée à accueillir la communauté des travailleurs affectés à la réalisation de la demeure d'éternité du roi régnant "pA xr", "la Tombe", ainsi qu'à celles de certaines reines et princes. Il se situe à mi-chemin des deux secteurs de la nécropole thébaine choisis pour abriter les sépultures de ces hauts personnages : la Vallée des Rois ("tA st MAat" = la Place de Vérité) et la Vallée des Reines ("tA st nfrw" = la Place des Beautés"). En fonction de l'avancement de la tombe royale, les ouvriers peuvent également être amenés à travailler dans les temples de la rive est (Karnak, Louxor…) ou dans les temples dits "de Millions d'Années" (improprement appelés "funéraires") de la rive ouest. Enfin, les ostraca, retrouvés en quantité énorme sur le site, conservent de nombreuses traces de commandes privées, concernant du matériel funéraire, du mobilier…
L'institution du village et de ses habitants dépend d'une autre administration plus vaste : "La grande et auguste Tombe de millions d'années de Pharaon, Vie, Santé, Force, à l'Occident de Thèbes", résumé habituellement en "la Tombe". Elle a en charge l'ensemble des activités en rapport avec les sépultures royales et princières, de l'édification à la protection, en passant par tous les circuits économiques de (re) distribution participant à cette machinerie complexe, sous la houlette du vizir de Haute Égypte. Ce dernier réside à Thèbes, bien loin de la cour qui se trouve, à l'époque ramesside, dans le Delta.

Il n'est pas possible, par manque de documents, de retracer l'histoire de la communauté avant l'extrême fin de la XVIIIe dynastie. Il est très probable que, lors de la période amarnienne, elle ait été transférée sur le site d'Akhetaton (Amarna) où elle garda ses croyances traditionnelles, très loin de la nouvelle religion solaire prônée par Akhenaton et son petit groupe de fidèles.

Mais la période de l'histoire de Deir el-Medineh qui nous intéresse commence à l'époque ramesside et couvre la XIXe et la XXe dynastie. Après la longue et opulente période du règne de Ramsès II, le pouvoir royal s'affaiblit ensuite régulièrement, surtout après Ramsès III ; les conditions de vie dans le village deviennent progressivement de plus en plus difficiles, tant matériellement qu'au plan de la sécurité, avec les incursions régulières des nomades lybiens.
On dispose de preuves montrant que, déjà sous Ramses IX, le village n'était plus sûr, et que la communauté trouva refuge près des temples de Deir el-Bahari. Finalement, après le règne de Ramsès XI (1098 - 1069), qui clôt le Nouvel Empire, le village est abandonné. Il se produit un changement dynastique, et les artisans sont alors employés à l'édification des tombes des prêtres d'Amon.
Le travail ingrat consistant à répertorier tout ce qui provient de la communauté a débouché sur "une grande surprise", selon R.J. Demarée (DeM database) : "il apparait que […] les gens employés à creuser les tombes dans la Vallée des Rois depuis environ 1500 av. J.-C., ont été employés ultérieurement à 'vider' et à 'recycler' leurs contenus…"

L'occupation du site par l'équipe aura duré presque 500 ans, et la documentation en notre possession en couvre la moitié, entre le règne d'Horemheb et celui de Ramsès XI.
Mais l'histoire du site et de son cimetière ne s'arrête pas là, comme en témoigne notamment le (très beau) petit temple ptolémaïque au nord de l'enceinte (). On retrouve des traces d'inhumations non seulement de l'époque grecque, mais aussi de l'époque romaine et des débuts du christianisme.

La composition de "l'équipe de la tombe"

On devrait parler d'équipage plutôt que d'équipe, tant son organisation est basée sur une dualité côté gauche - côté droit, comme sur un navire. Chaque moitié de l'équipe avait en charge un côté de la sépulture royale en progression, que ce soit pour les travaux de creusement ou pour la décoration. La navigation sur le Nil fait tellement partie de la vie et imprégne tellement les mentalités, qu'on pourrait presque dire que les Égyptiens forment un peuple de nautoniers.
Le village (dénommé dans les textes "pA dmi", "la ville") est entouré d'une enceinte qui atteint à son maximum une longueur de 132m et une largeur de 50m et héberge 68 maisons (état final et actuel) ; on a pu retrouver l'identité de leurs propriétaires sous le règne de Ramsès II pour 15 d'entre elles. Son organisation générale est basée sur ce même principe de dualité puisque, à l'intérieur de l'enceinte, une rue centrale courant du nord au sud le divise en deux quartiers droit et gauche.
Un grand nombre d'intervenants est nécessaire au bon fonctionnement de ce hameau relativement isolé, qui ne dispose même pas d'un point d'eau. Certains d'entre eux seulement appartiennent à l'institution de la tombe.
L'appartenance ou non d'un homme à l'équipe de la tombe est fondée sur des critères précis (Valbelle) : sa situation lors de la distribution des céréales par l'administration et le fait qu'une demeure lui ait été attribuée dans l'enceinte, ainsi qu'une tombe dans le cimetière attenant.

L'équipe, terme assez restrictif et qui ne concerne que la troupe des ouvriers, compte habituellement entre 40 et 60 hommes. Sous Ramsès IV, alors que grèves et défauts d'approvisionnement sont pourtant fréquents, elle est portée exceptionnellement à 120 hommes pour pallier une situation critique (l'achèvement de la tombe de ce roi, mort prématurément) puis ramenée à 60 dès le travail achevé : Pharaon embauche quand il a besoin, que le pays soit prospère ou non.
Chaque côté est dirigé par un "chef d'équipe", assisté d'un "idenou" (substitut, ou lieutenant), souvent fils du premier, et par un scribe commun aux deux côtés, l'ensemble formant les "Capitaines de la tombe". Vers le milieu de la XXe dynastie, s'y ajoute une quatrième personne, le chef dessinateur. Ce petit groupe, qui jouit d'un grand prestige, possède aussi un réel pouvoir dans le cadre du village.

Le scribe sert de lien avec les agents du vizir, dont il reçoit les ordres ; une de ses tâches principales est de tenir les "journaux" administratifs, ce qu'il fait en prenant tout d'abord des notes sur des ostraca puis en mettant celles-ci au clair sur papyrus : l'administration est ainsi au courant des activités de l'équipe, depuis l'avancement des travaux jusqu'à l'absence de tel ou tel et sa raison. Il a aussi la lourde charge de la répartition de l'approvisionnement de la communauté, avec tous les conflits qui l'accompagnent.

Les ouvriers sont désignés par le terme "rmT", "homme", ou "rmT Hmw", "ouvrier, artisan", par opposition aux "rmT smdt", "homme de peine" et aux soldats ("mDayw") qui patrouillent dans la montagne libyque. On distingue trois sortes de spécialistes, les tailleurs de pierre ou carriers, les sculpteurs, les dessinateurs ou peintres et, jusqu'au début du règne de Ramsès III, les plâtriers. On rattache parfois à l'équipe certains travailleurs âgés, qui bénéficient d'une modeste pension, et de jeunes apprentis, fils de membres de l'équipe, que leurs pères se chargent de former (vue à droite : maçon âgé, ).

Le statut des deux gardiens, qui surveillent en permanence le poste de contrôle de la tombe, qui se trouve à la porte nord, semble variable : tous n'habitent pas dans l'enceinte, mais certains ont néanmoins une tombe dans la colline. Il y a aussi des gardes, nous dirions des policiers, qui surveillent l'intérieur du village et notamment le matériel utilisé par les ouvriers. Fait peu connu, un groupe de femmes esclaves était à la disposition des habitants, à tour de rôle, pour des tâches domestiques : leurs journées de travail pouvaient même être données en paiement, ou léguées par testament.
Enfin, aucun des nombreux porteurs (d'eau en particulier, mais aussi de plâtre, de légumes…), blanchisseurs, cordonniers, potiers, pêcheurs, etc., qui assurent pour les ouvriers des tâches qui s'effectuent à l'extérieur des murs, ne fait partie de l'équipe mais, tout comme elle, ces "semdet" sont divisés en deux groupes, chacun au service des habitants d'un des côtés du village.

La population reste assez stable, car on sait que, choisis sur des critères qui nous échappent, certains jeunes, peut être les moins aptes, doivent quitter le village et aller s'installer ailleurs. L'homonymie entre parents et enfants ou petits enfants rend les reconstitutions familiales souvent délicates et il faut se référer à des documents "officiels" (papyrus, rapports…) pour établir un lien de parenté plutôt que sur les tombes, stèles ou graffiti (Bierbrier) ; par contre, à la différence de beaucoup de nobles, les gens du village ne changent pas de nom au cours de leur vie.
Il s'agit d'un milieu relativement fermé (mais pas complètement : des étrangers sont intégrés parfois, sans que cela pose de problème), dont les enfants se marient entre eux, ce qui explique pourquoi presque toutes les affaires de la communauté sont des affaires de famille, souvent très compliquées : pensons aux exactions du célèbre maître d'équipe Paneb.
Cette promiscuité permet de suivre six ou sept familles pendant toute la durée d'occupation du site, ce qui est particulièrement intéressant pour les peintres et dessinateurs. Le nombre réduit de protagonistes dans chaque spécialité permet également parfois de reconnaître la "patte" d'un artiste d'un monument à l'autre ; la paléographie peut également y aider. On sait aussi que le travail était souvent partagé entre plusieurs personnes ; en témoigne par exemple le caveau d'Inerkhaouy (déjà sur OsirisNet : ) où on retrouve les noms de deux peintres, ce qui est rarissime dans l'Égypte ancienne.

Ostracon en calcaire, British Museum : registre d'absence au travail en l'an 40 de Ramsès II. Seuls 2 ouvriers sur 40 n'ont jamais manqué. Parmi les motifs, les services rendus à d'autres (chef, scribe, collègue) figurent en bonne place. On trouve aussi "participation à une beuverie" où "sa femme a ses règles"…

Fait qui peut nous surprendre : les jours d'absence et de congés sont très nombreux. Les absences sont tolérées pour des raisons très diverses : outre bien sûr maladie, décès d'un proche, naissance… il est normal qu'un homme ne se rende pas au travail sur le chantier parce qu'il est commissionné pour une autre tâche (assister le scribe, exécuter un travail pour un supérieur ou pour le vizir, etc.) ou pour des raisons en rapport avec la vie communautaire, domestique ou religieuse (légumes à aller chercher, bière à filtrer pour son dieu… ou même ivresse ou bagarre !).
Mais ce qui est sans doute le plus étonnant, c'est la fréquence des congés collectifs : il arrive ainsi que près de la moitié des jours d'une année soient chômés ! Les raisons en sont multiples : jours de repos en fin de décades, jours épagomènes, changements de règne, anniversaire des changements de règne (parfois vieux de 175 ans), funérailles royales ou princières, décès d'un habitant du village, auquel il faut ajouter les multiples jours de fêtes régionales (fête d'Opet, Belle Fête de la Vallée, fête de tel dieu ou déesse…). Enfin se greffent, notamment vers la fin de l'époque ramesside, les périodes de trouble et d'insécurité ne permettant pas aux ouvriers d'accéder au chantier.
Ceci laisse un temps libre considérable aux artisans pour s'occuper de commandes privées ou de leur propre tombe, même s'il est possible que l'aménagement de celle-ci ait été, parfois, inclus dans le temps de travail. Cette tombe personnelle est désignée par le nom "mahat" (souvent abrégé en aha), et jamais par "xr", terme strictement réservé à la sépulture royale (Cerny)

Le panthéon local

La principale divinité du village est la déesse Hathor, à laquelle est consacré le sanctuaire principal du site (qui se trouvait au nord, dans l'enceinte de l'actuel temple ptolémaïque). "Elle prend volontiers l'aspect de son animal familier, la vache, sortant de la montagne de l'ouest, mais aussi celui d'un sistre ou d'un ibis noir (?). Elle est également révérée comme maîtresse de Deir el-Bahari et parfois assimilée à Nebethetepet, à Henoutmehyt, etc. (Valbelle) ".

Distincte de Hathor, dont elle peut cependant être proche par l'iconographie, la déesse Meretseger (Meresger) incarne la Cime thébaine, et de ce fait est vraiment spécifique du village. "Celle qui aime le silence" est le plus souvent représentée comme un serpent, mais peut aussi prendre l'aspect d'une vache, d'une lionne ou d'un sphinx. La déesse des moissons et de la vie domestique, Renenoutet, déesse serpent elle aussi, est également souvent confondue avec Merestseger.
Ptah, le démiurge, patron des artisans, est le seigneur de la Vallée des Reines, mais est aussi très présent dans le village, y compris sur certaines parois de tombes.
Le roi Aménophis I (sous sa forme Aménophis du village surtout, mais aussi sous d'autres formes régionales) ainsi que sa mère, la reine Ahmes-Nefertari, sont l'objet d'une dévotion et d'un culte auxquels nous avons déjà consacré une . Nous n'y revenons pas.
Certains souverains des débuts de la XVIIIe dynastie (et même des reines ou des princes), divinisés, reçoivent un culte et peuvent figurer dans les tombes des artisans. Un exemple célèbre se trouve dans le premier caveau de la tombe d'Inerkhaou, TT 359 (voir de Lepsius).
Amon, seul ou avec Hathor, ou Mout, ou Khonsou est bien sûr l'objet d'un culte, mais qui semble avoir faibli après la XVIIIe dynastie.
La déesse hippopotame Taouret, protectice des femmes en couches, jouit d'un culte actif, tout comme Thot, aussi bien sous sa forme d'ibis que sous celle de babouin.

En ce qui concerne plus spécialement les tombes de Deir el-Medineh, de nombreuses divinités sont représentées : pas moins de 45, dont 23 dieux, 18 déesses et quelques génies, y compris des entités provenant d'autres régions d'Égypte, notamment d'Éléphantine (Khnoum, Satet et Anouket). Par contre les divinités étrangères et notamment proche-orientales, si elles sont bien présentes dans le village, sont absentes des tombes.

Mais les villageois de Deir el Medineh n'invoquaient pas seulement les dieux de leur panthéon mais aussi, et peut-être plus qu'ailleurs (du moins il en subsiste plus de traces) des "ancêtres" de leur lignée ou de la famille royale (non seulement des pharaons, comme déjà signalé, mais aussi des reines et des princes). Le culte familial est rendu dans les maisons ou dans des chapelles, soit devant des bustes soit devant des stèles.
Un type particulier de ces dernières se nomme "Ax iqr n Ra" (abrégé en Ax iqr ou en Ax n Ra) : "Esprit excellent (ou efficient) de Rê". Le récipiendaire (qui n'est pas forcément un ancêtre, mais le personnage important de la famille) est en général un homme assis sur un siège à pattes de lion, tenant d'une main une fleur de lotus ouverte devant son nez, tandis que l'autre est étendue vers un guéridon portant des offrandes, ou serre une étoffe ou un signe ankh. Il arrive, comme chez , qu'une représentation d'Ax iqr soit présente sur une paroi de la tombe ().

Les cimetières de Deir el-Medineh

1) - La nécropole de l'Est

Les sépultures les plus anciennes sur le site datent de l'époque d'Hatchepsout et se situent principalement dans le cimetière de l'Est aménagé sur l'arrière de la colline de Gournet Mouraï (), mais on trouve des tombes de la XVIIIe dynastie ailleurs ; par exemple la tombe de Kha, TT8 trouvée intacte par Schiaparelli en 1906 se trouve déjà dans la nécropole ouest.
Ce cimetière a la particularité d'être relativement sectorisé du sud au nord : une zone, dévolue à de jeunes enfants, comporte de petites fosses recouvertes de pierres, une autre est destinée aux adolescents, qui sont placés dans des cavités grossières auxquelles on accède par un puits, enfin les sépultures les plus au nord sont réservées à des adultes des deux sexes. On n'y a retrouvé aucune tombe décorée : le décor, lorsqu'il y en a, est centré sur le sarcophage (exemple, celui de la qui se trouve ).
La population utilisant le cimetière de l'Est n'avait aucun lien avec les ouvriers de la tombe. Il s'agissait d'une zone de second choix pour une classe sociale au service des nobles et des lettrés de Thèbes : musiciens, maquilleuses, coiffeuses… qui s'occupait de leur bien-être et de leur distraction. Ces gens n'étaient pas lettrés, mais disposaient de quelques biens.
Cette nécropole a presque complètement disparu aujourd'hui sous les déblais accumulés lors du dégagement du village entre 1935 et 1939.

2) - La nécropole de l'Ouest

C'est de l'époque post-amarnienne que date l'innovation d'un plan directeur pour l'attribution exclusive de la colline de l'ouest et de la falaise du nord () afin de servir de cimetière à l'équipe de la tombe, ainsi que le remplacement des tombes individuelles par les grands tombeaux de famille, le groupement hiérarchique et chronologique des sépultures, le tracé des chemins desservant les divers étages de la nécropole et l'extension nouvelle du village vers le sud.
Tant que dureront les rois ramessides, les chapelles des chefs de travaux, scribes, peintres, sculpteurs, graveurs, carriers et maçons s'étageront sur la colline de Deir el Medineh, ceux du règne de Ramsès II face au Ramesseum, ceux, rares, de la XXe dynastie face à Medinet Habou. La richesse de ces tombes restera fonction de la puissance du roi régnant et de la durée du règne (Bruyère, 1935). Ainsi, peu de tombes nouvelles sont creusées à partir de la XXe dynastie, les hommes se bornant à réutiliser une ancienne sépulture, où se contentant d'un caveau rudimentaire et anonyme. À la Troisième Période Intermédiaire, la réutilisation des caveaux est systématique (exemple : TT360). Les tombes se réduisent à des puits funéraires, avec de nombreux exemples de collision.

Dès la XIXe dynastie, les morts sont inhumés dans des caveaux de famille, sans que l'on puisse déceler cependant de règles strictes. Ainsi la tombe de , découverte intacte par Bruyère, renfermait vingt corps, dont neuf dans des cercueils à leur nom, les onze autres étant anonymes, mais on peut imaginer qu'il s'agit de membres de la famille. Cependant, un des fils de Sennedjem, Khabekhnet, possède sa propre tombe, TT2.

Amennakht, son fils Nebenmaât et son petit-fils Khaemter disposent ainsi de trois caveaux bénéficiant de parties communes et de trois chapelles de surface contiguës (TT 218-219-220). Certains hommes de l'équipe ont deux, voire trois tombes différentes (par exemple le scribe Ramose possède TT7, TT212 et la chapelle TT250) où sont répartis leurs ascendants et certains de leurs descendants. Le système n'est cependant pas rigide, et on peut trouver des membres de la même famille dans des caveaux distincts, quelquefois distants.
Les sépultures, ou certaines de leurs parties seulement (pyramidion, caveau…), peuvent se transmettre par leg ou testament.

Mais il ne faut pas se leurrer, seul un nombre très restreint d'artisans a pu s'édifier une chapelle funéraire ou un caveau décoré : une cinquantaine à peine nous sont parvenus, sur des centaines d'enterrements recensés. Si la plupart des monuments ont probablement disparu sous les coups conjugués du temps et des hommes, il n'en reste pas moins vrai que, même en tenant compte du regroupement familial à partir de la XIXème Dynastie, avoir sa tombe était vraiment un privilège, dont le mode d'attribution nous reste largement méconnu.
On sait cependant qu'à la XXe dynastie, les anciennes tombes délaissées sont attribuées de préférence à un descendant du premier occupant, à défaut, un gendre. Si un litige apparaît à propos d'une attribution, c'est l'oracle d'Aménophis 1er divinisé qui tranche, mais il y a tout lieu de penser que la majorité des cas se réglaient à l'amiable.

L'aspect étagé actuel de cette nécropole est dû aux aménagements de Bernard Bruyère dans les années 1930-1940, mais il faut imaginer que, au moment où le village était occupé, l'aspect était différent : de nombreuses cours artificielles ponctuaient la pente, volontiers mitoyennes, entourées d'un mur d'enceinte plus ou moins haut, avec parfois un pylône à leur entrée et souvent un petit escalier. Selon Assmann, le développement des cours à l'époque ramesside est directement lié à la pratique dans celles-ci du rituel de l'ouverture de la bouche.
La chapelle qui se trouvait au fond de la cour, souvent voûtée, était surmontée par une petite pyramide en briques crues, surplombée elle-même d'un pyramidion en calcaire (comme celui de , qui se trouve à Turin).
Ces pyramides, qui apparaissent sous Aménophis III, sont un élément typique des tombes ramessides, en relation avec la reviviscence des cultes solaires à cette époque.

Une (rarement plusieurs) stèle cintrée ou statue stélophore pouvait être déposée dans une niche (souvent peinte en noir) sur la face avant de la pyramide ou sur le mur de façade de la chapelle. Statues et stèles sont donc orientées vers l'est ; ces dernières portent toutes un hymne au soleil et, sur leur cintre, une barque solaire. Les hymnes sont des versions simplifiées de ceux en usage dans toute la nécropole thébaine. On a retrouvé plusieurs exemplaires de ces stèles, mais aucune in situ.

Le où les puits funéraires s'ouvrent le plus souvent dans la cour, parfois dans la chapelle. Les caveaux souterrains, volontiers voûtés, sont volontiers précédés d'un vestibule ; il arrive souvent que plusieurs caveaux familiaux partagent une entrée et un vestibule commun (par exemple le complexe TT 218-219-220).
Il existe toutefois une grande variabilité entre la tombe théorique et les réalités architecturales, car tous les éléments (cour, chapelle, pyramide, puits, caveau) ne sont pas toujours réunis.
Par contre, à la XIXe dynastie, chapelles et caveaux -lorsque les deux existent- ne sont qu'exceptionnellement dissociés.

Des chapelles de deux types se rencontrent à la même époque (Valbelle) :
- de petites pièces voûtées construites en briques et surmontées d'une pyramide, volontiers agrémentées de stèles monumentales, de statues et même de portiques ; plusieurs de ces chapelles peuvent être juxtaposées (comme le complexe 218-219-220, )
- des chapelles rupestres ou mi-rupestres mi-construites, souvent dotées d'un naos, parfois ornées de statues d'Osiris et Rê-Horakhty ou Osiris, Isis et Hathor ().

La base de données "Deir el-medina"

()

L'exploration systématique du site depuis près d'un siècle a permis d'accumuler un nombre considérable d'objets et de textes, sur papyri ou sur ostraca. La base de donnée se veut un outil à la disposition des chercheurs à une étape intermédiaire du vaste projet "Un relevé des textes non littéraires du Nouvel Empire en provenance de Deir el-Medina de l'université de Leide".