La tombe de Djehoutyhotep
"Grand chef du nôme de la Hase"

La tombe de Djehoutyhotep, Grand Chef du nome de la Hase est la plus importante et la mieux conservée des tombes du site de El Bersheh. Elle porte le numéro 17L20/1 (anciennement n°2).
Cette tombe est célèbre pour la représentation, unique dans tout l'art égyptien, d'un colosse tiré sur un traîneau.

La première redécouverte moderne de la tombe date de 1817 par deux officiers de marine, le capitaine Mangles et le lieutenant Irby. Puis Bankes et Beechey en recopièrent - très incorrectement - l'image du colosse qui fut redessinée en 1832 par Rossellini. Nestor l'Hôte rapporta des notes intéressantes conservées à la Bibliothèque Nationale à Paris. Wilkinson puis Lepsius firent également des relevés et le major Brown eut l'heureuse idée de photographier la scène du colosse avant les destructions qui ont mutilé l'importante inscription derrière le colosse et d'autres parties de la tombe. Des tentatives de découpage dont on voit clairement les traces () ont encore contribué à altérer le monument.
Finalement c'est Newberry qui publia et restaura le monument en 1891.
L'Université Catholique de Louvain travaille depuis plusieurs années sur le site.

La nécropole choisie par les princes du Moyen Empire de la région se trouve à une dizaine de kilomètres au Sud de l'ancienne capitale du nome, Khemenou ("la ville des huit"), l'actuelle Ashmounein, dans une vallée rocailleuse. Contrairement à l'habitude, elle est située sur la rive Est du Nil.
La tombe a été très endommagée par un tremblement de terre survenu dans l'antiquité qui a entièrement effondré l'antichambre et causé de très gros dégâts dans tout le monument. Ultérieurement, comme nous le reverrons, les dégradations dues à l'homme se sont surajoutées.

On accède aux tombes par un chemin pentu qui était bordé de statues, conduisant à une plate-forme à partir de laquelle les tombes sont taillées dans la falaise ().

La façade devait être monumentale et impressionnante, avec ses deux colonnes palmiformes supportant une architrave, l'ensemble peint en rose finement veiné de vert clair pour imiter le granit, avec des hiéroglyphes verts. Mais maintenant on ne voit du monument que le portique, la chambre principale et une niche-chapelle. Les travaux de l'université de Louvain ont montré qu'il existait un mur en pierres calcaires.

Le décor de la véritable antichambre qui se trouvait derrière les colonnes n'a pu être que partiellement restaurée. Elle comportait des scènes de chasse et de pêche et sans doute des scènes militaires ou de lutte. Le plafond en était bleu, ponctué de motifs jaunes.
Les inscriptions gravées nomment les trois souverains sous lesquels à servi le puissant nomarque : Amenemhat II, Sésostris II et Sésostris III. C'est donc sous ce dernier roi que la tombe a du être achevée et qu'il est mort. Il est très intéressant de retrouver également gravés les noms des principaux responsables de la réalisation de ce chef d'œuvre du Moyen Empire. Le directeur des travaux est ainsi un certain "Sep, fils de Abkaou" et le principal décorateur est Amenankhou.

À partir de cette antichambre aujourd'hui à ciel ouvert un passage étroit, inscrit, conduit à une pièce rectangulaire qui est la chapelle funéraire proprement dite.
La pièce mesure 7,90m de profondeur, 6,10m de large et 4m de haut.
Dans le centre du mur opposé à l'entrée, trois petites marches donnent dans une niche de 1,20m de large pour une profondeur de 2,40m et un plafond à 2,40m. Plusieurs puits funéraires sont présents réalisant une structure complexe avec une galerie souterraine courant sous la tombe ().

Le nomarque Djehoutyhotep et sa famille

Comme toujours en Égypte ancienne, les inscriptions ne sont pas très prolixes sur la vie et la carrière du défunt et nous ne savons pas grand-chose au final de Djehoutyhotep.
Sur la façade, quatre inscriptions très mutilées donnaient un résumé des titres et donc de sa carrière.
Djehoutyhotep était "enfant du kep" sous Amenemhat II, c'est-à-dire qu'il a été éduqué au palais royal, au contact des enfants du souverain. Puis il fut "ami unique" sous le règne de Sésostris II, puis occupa une fonction inconnue sous son successeur Sésostris III, sous le règne duquel il est probablement mort.
Les titres civils de Djehoutyhotep : Prince héréditaire, Trésorier du roi de Basse Égypte, Ami Unique, Connu du roi, Grand chef du nome de la Hase, Porte pour tous les pays étrangers (c'est à dire probablement qui autorise l'entrée et la sortie du pays), Chef des hauts offices, Prince de Nekheb, Celui qui appartient à Nekhen, Contrôleur de ce qui est dans le palais.
Les titres religieux : Supérieur des prêtres, Grand des Cinq dans le temple de Thot, Régulateur des deux trônes, Supérieur des Mystères des temples, Supérieur des Mystères du Dieu dans ses places sacrées, Supérieur des Mystères des secrets divins, Directeur des offrandes divines, Supérieur-sem de tous les ?, Qui a pouvoir sur les dieux, Supérieur des temples de ?, Prêtre de Maat.
On remarquera en particulier les titres consacrant Djehoutyhotep comme grand prêtre de Thot à Hermopolis.

Sur les fonctions du nomarque à l'Ancien et au Moyen Empire, on consultera utilement

.

Les membres de la famille mentionnés dans la tombe comprennent Nehery, son grand-père paternel dont il a hérité la charge, son père Kay et sa mère Sat-kheper-ka. Kay était Prince de la cité des pyramides "l'apparition de Sésostris" et Supérieur des prêtres. Il était donc la plupart du temps éloigné de son nome de la Hase et n'a pas succédé à son père Nehery. Sa tombe devait se trouver loin du nome, c'est pourquoi son fils Djehoutyhotep le représentera avec lui dans la niche, réalisant ainsi une sorte de cénotaphe. On ne sait rien de la parenté de sa mère ni de ses titres.
La femme de Djehoutyhotep se nomme Hathor-hotep, elle porte les titres de Maîtresse de maison et de Prêtresse d'Hathor. Deux autres personnages féminins sont représentés plus petits à côté d'elle sans qu'on sache exactement de qui il s'agit.
Le défunt avait huit enfants, trois fils et cinq filles. L'aîné des fils est Shemsou-khaou-ef, souvent représenté. Les deux cadets sont Sésostris-Ankh et Nehery. Nous connaissons les noms des trois filles aînées : Noub-ounout, Sat-kheper-ka et Sat-hedj-hotep.

La décoration

Elle combine des représentations peintes, appliquées sur un enduit de stuc très fin qui recouvre le calcaire de la paroi, et des zones sculptées en très bas relief. Les décors sont de grande qualité d'exécution. Nous sommes loin ici d'une réalisation provinciale, et on peut légitimement supposer que les artistes décorateurs ont du venir des ateliers royaux.
Le décor, déjà bien mutilé par le tremblement de terre, est en de nombreux endroits recouvert de grandes croix coptes rouges, notamment sur le mur du fond. On se demande pourquoi ces véritables tags ne sont pas enlevés par le service des antiquités, car on peut difficilement les considérer comme de précieux vestiges du passé.

La façade

Comme on l'a dit, elle s'est complètement effondrée suite à un tremblement de terre.
Les jambes et linteaux de la façade ainsi que les colonnes et l'architrave sont peintes en rose strié de vert pour imiter le granit ; les hiéroglyphes au-dessus des jambages et sur l'architrave sont incisés dans le creux et peints en vert.
Sur les jambages, les inscriptions relatives à Djehoutyhotep se mêlent à des inscriptions relatives aux souverains qu'il a servis. Ainsi le visiteur sera immédiatement impressionné par les faveurs dont le nomarque a pu bénéficier pendant si longtemps. Pour cela on a fait figurer en haut de colonne le nom d'Horus du roi et vers le bas le cartouche royal ().

L'architrave est inscrite devant et derrière, les inscriptions étant centrées par le mot " (j) r (y) -pa (t) ", Prince, associé au mot "h3tya", Héréditaire de chaque côté (). Les inscriptions mentionnent qu'il est "né de Sat-kheper-ka" et font toutes deux référence à ses titres de grand prêtre de Thot.

L'antichambre

Elle est aujourd'hui à ciel ouvert, quelques-uns des énormes blocs effondrés jonchant le sol (). Au premier coup d'œil, on remarque plusieurs tentatives pour voler des portions de paroi qui ont été sauvagement réalisées au burin ().
Le plafond, maintenant invisible, a pu être reconstitué. Il comportait un fond bleu avec un assemblage de motifs à quatre feuilles jaunes. Deux bandes de hiéroglyphes incisés et peints en bleu sur fond jaune font référence aux titres de "grand chef du nôme de la Hase" et de "Supérieur des mystères de ses temples", citant sa mère Sat-kheper-ka et son père Kay.
Le mur de gauche de la pièce est complètement détruit et rien ne peut plus être décrit.

Le mur de droite

Il a conservé la représentation d'une remarquable scène de chasse dont les couleurs ont malheureusement disparu. Le maître est représenté en taille héroïque, engainé dans un vêtement serré (très différent de celui que l'on retrouvera dans des scènes similaires au Nouvel Empire), et appuyé sur un long bâton (). Il contemple le registre de chasse dans le désert devant lui, surchargé d'animaux et d'hommes représentés beaucoup plus petits que lui (et ). On remarquera l'extraordinaire diversité des gazelles, antilopes, oryx, bubales et bouquetins qui forment l'essentiel des animaux présents. Mais on trouve également du plus petit gibier, porc-épic ou lièvre. Une lionne est même représentée. Les hommes chassent avec arc et carquois tout ce gibier, ou sont montrés capturant les animaux sauvages au lasso. Trois des chasseurs sont nommés, il s'agit des fils de Djehoutyhotep.
Au dernier registre du bas, des taureaux sauvages semblent dirigés dans une sorte d'enclos par des hommes portant dans leurs cheveux des plumes d'autruches, comme les soldats.
On remarque que toutes ces scènes sont placées entre deux grandes représentations verticales de filets, ce qui montre bien que la capture des animaux vivants était une activité également importante.
En délimitant cette scène qui fait référence à un milieu hostile (le désert) et désorganisé (les animaux sauvages), ces filets ont aussi un rôle majeur de protection magique contre les forces du désordre qui sont ainsi contenues.

Le mur du fond, partie droite

Au registre du haut, sous des lignes d'inscription proclamant "capture des oiseaux par le prince Djehoutyhotep", on voit les restes d'une scène de chasse dans les marais. Debout sur une nacelle de roseau, Djehoutyhotep porte un ruban dans les cheveux, un collier autour du cou et un pagne court. Il tient dans une main un bâton de jet et de l'autre des oiseaux. On sait que cette scène peut être lue de deux façons, un divertissement pour le défunt mais aussi un repoussoir du désordre incarné par le milieu sauvage, non domestiqué, que représente le marais. Ainsi par ce geste, le défunt repousse Isfet ("le mal") et fait progresse l'ordre de Maat. On peut aussi interpréter cette scène comme une chasse aux esprits mauvais qui pourraient essayer d'empêcher le bon déroulement de la nouvelle gestation nécessaire au défunt avant sa renaissance. C'est pourquoi deux femmes, probablement sa femme et sa fille - celle-ci lui tend un autre bâton - l'accompagnent dans ce frêle esquif, participant aussi à cette régénération. Toute la partie gauche de la scène montrant le marais proprement dit a disparu.
Dans le registre ci-dessous trois bateaux portant des papyrus semblent flotter dans le vide car l'eau, simplement peinte, a également disparu.

Le mur du fond, partie gauche

Dans une scène symétrique, le nomarque pêche au moyen d'un harpon, toujours accompagné de deux femmes. Ses trois fils sont représentés derrière lui.
Sous la nacelle, de nombreux poissons sont figurés et au registre du dessous on retrouve encore des bateaux avec des hommes pêchant ( et ).

Le mur du fond, au centre

Il s'agit ici de l'équivalent d'une architrave, très détruite aujourd'hui. Elle comporte au sommet deux lignes d'inscriptions gravées courant en sens opposé à partir du mot central (j) r (y) -pat.
Encadrant l'entrée verticalement on trouvait quatre lignes verticales d'inscriptions surmontées par une ligne horizontale et au sommet une figure de Djehoutyhotep tenant un sceptre sekhem et un bâton.
Dans l'épaisseur de l'entrée menant à la chambre intérieure couraient des lignes d'inscriptions identiques en grands hiéroglyphes dans le creux : "le prince héréditaire… le grand des cinq, Djehoutyhotep, maître de la joie".