AAMETJOU (AHMOSIS), TT 83

À mi-hauteur de la colline de Sheikh abd-el Gournah se trouve une tombe qu'on voit bien de la vallée en raison du portique à piliers qui en forme l'entrée monumentale. Cette tombe, qui porte le numéro 83, est située en contrebas de la célèbre tombe TT60 d'Antefoqer/Senet, qui est décrite en détails . Voir (d'après Kampp).

Le propriétaire se nomme aAmtTw (Aametjou) et porte le surnom de iAhms (Ahmes ou Ahmosis) Son épouse porte le nom (calqué sur celui de son mari) de tAamTw (Ta-aametjou).
Il porte les titres de maire de la Ville (Thèbes) et vizir : il s'agit donc du plus haut poste de l'administration et l'homme ne devait rendre compte qu'au pharaon, en l'occurrence Thoutmosis III. On ne connaît que trois personnes ayant porté cette combinaison de titre sous ce roi : Aametjou (TT83) pendant la première partie du règne, puis, au milieu du règne, son fils Ouser (TT61 et TT131) qui a pris ses fonctions durant l'an 5 de Thoutmosis III, et enfin le neveu de ce dernier, à la fin du règne et au début de celui d'Amenhotep II.
Les deux titres majeurs de Maire et de Vizir sont donc restés trois générations dans la même famille. La trop grande puissance qu'elle aurait ainsi acquise pourrait expliquer pourquoi Rekhmire semble avoir fini en disgrâce.

La tombe

Le plan est celui d'une tombe-saff de la XIe dynastie. Le mot saff vient de l'Arabe et désigne une rangée. Ces monuments sont caractérisés par une façade en forme de portique, comportant des piliers taillés dans le rocher de la colline ou dans celui du sol. Friederike Kampp énumère une liste d'arguments qui, selon elle, prouvent que la tombe aurait été creusée à la XVIIIe dynastie, et ne serait pas un réemploi d'un monument du Moyen Empire ; celà ferait d'elle une exception au milieu de toutes les tombes voisines qui sont des réemplois.
Kampp propose une vision claire de l'évolution de ce type de monument, avec l'élargissement transversal de la chapelle, le déplacement du puits funéraire (qui se dédouble), et l'apparition d'un hall transversal fermé, pour aboutir à la forme caractéristique en "T" de la XVIIIe dynastie : .
Après les travaux faits par Wilkinson et leur déblaiement, il ne reste rien de la structure d'origine de la cour, en partie gagnée sur la falaise (). On y trouve les restes d'un puits funéraire effondré, sans doute d'origine.

La façade verticale se dresse au-dessus d'un portique taillé dans la falaise qui comporte huit piliers à peu près carrés (côté entre 1,30 et 1,45m) ; à chaque extrémité, se trouve un pilastre engagé dans la falaise. La façade comporte une partie taillée, mais a aussi été surélevée par un mur formé d'éclats de calcaire liés par un mortier. Les trous actuelement visibles ont servi d'appui aux poutres lorsque Wilkinson a bâti dans la cour (voir et ). Toutes les traces de crépi sont celles de la période récente d'occupation.

Les piliers, constitués d'un fût carré (pas de base ni de chapiteau) ont été façonnés par évidemment de la roche autour d'eux ; ils étaient plâtrés et décorés sur leurs faces latérales et du côté interne, prouvant qu'ils avaient été prévus dès l'origine. Ainsi est réalisé un véritable hall transversal ajouré de 25m de long et 3m de large, dont les parois ont été décorées ( et ).

Le couloir d'entrée, actuellement muré, s'ouvre perpendiculairement au milieu du portique () ; il pénètre de 16m dans la colline, sur une largeur de 1,70m. L'entrée est taillée dans le rocher lui-même (il ne s'agit pas de pierres rapportées) prouvant qu'il date de l'époque de conception de la tombe et ne constitue pas un ajout ultérieur. Il existe également des preuves que la tombe n'est pas, comme beaucoup d'autres de cette époque, un réemploi d'un monument du Moyen Empire : la façade verticale, avec ses piliers élancés, hauts et carrés est très différente des tombes du Moyen Empire aux colonnes tassées (comparer avec les tombes TT 167,149,150, à piliers carrés, de la même période).

Le crépi. Sur la façade, on retrouve un crépi beige clair (nommé tibn), qui a aussi servi de matériau de remplissage. Afin de compenser les irrégularités des piliers, plusieurs couches successives de mortier ont été appliquées ; la première à base de gypse, la seconde avec des ajouts de boue du Nil mélangée à du tibn (brun moyen). La dernière couche est faite de gypse blanc : c'est elle qui servira de sous-couche au décor peint. Deux couches de crépi datent de la période d'occupation récente : celle du dessous est faite de boue du Nil enrichie de paille grossièrement hachée (gris brun), celle du haut est faite des mêmes éléments, mais est plus fine (beige clair).

Le décor devait être de qualité, si l'on en juge par les quelques fragments encore visibles à la partie haute des murs et des colonnes, ainsi que sur le plafond du portique (hauteur : 3,10m), où sont inscrits des restes de titres du défunt. Le Porter & Moss rapporte la présence dans le couloir d'une scène rituelle devant des momies et d'inscriptions citant les titres de son fils Ouser. Tout le reste a disparu.

Pourquoi Aametjou a t'il choisi cette architecture ? Sans nul doute pour attirer l'attention sur son monument. Il est hautement probable que les décors placés dans ce portique étaient en rapport avec ses fonctions terrestres, que les curieux pouvaient donc admirer sans l'aide d'une lampe. Naturellement, le vizir espérait que le visiteur lui apporterait quelques offrandes, ou effectuerait une libation d'eau en récitant les formules destinées à assurer sa survie dans l'au-delà.

La maison de Wilkinson

En raison de sa bonne situation à mi-colline et des possibilités d'aménagement offertes par son portique, la tombe 83 a servi de maison à plusieurs égyptologues. Il faut dire que la vue est imprenable : le Ramesseum, les Colosses de Memnon, Medinet Habou, le temple de Karnak dans le lointain, sans compter le spectacle de la vallée du Nil à une époque où les barrages n'avaient pas encore supprimé les crues. L'égyptologue américain John Wilson écrit : "C'est un panorama constamment fascinant, dont les couleurs changent chaque heure" ().
Le premier d'entre eux est un des pionniers de l'égyptologie britannique, Sir Gardner Wilkinson, qui y séjourna dans les premières décennies du XIXe siècle. La tombe reste d'ailleurs connue comme "la maison de Wilkinson". Celui-ci s'intéressait particulièrement aux tombes thébaines de particuliers, et fit de nombreux croquis, toujours utiles de nos jours, car depuis son passage certains monuments ont disparu ou se sont fortement dégradé. Il est un des premiers à avoir compris que les représentations dans les hypogées pouvaient servir à comprendre la vie des anciens Égyptiens, et, à sa sortie, son ouvrage "Manners and customs of the Ancient Egyptians" rencontre un grand succès et lance véritablement l'intérêt du public britannique pour l'Égyptologie.
Wilkinson voit un autre intérêt majeur à vivre dans une tombe : l'air y reste frais et la température égale tout au long de l'année. Il fait cloisonner en briques crues certains espaces entre les piliers du portique et élève des murs au-dessus ainsi que dans la cour, réalisant une grande terrasse. Dans son état achevé, la maison comprend des antichambres, des chambres à coucher, un salon, une salle à manger, un pigeonnier, des pièces pour les domestiques et une cuisine (voir ). Pour mémoire, à cette époque, on se servait de fragments de sarcophages pour faire le feu servant à cuire les aliments…

Plus tard, Robert Hay se joindra à Wilkinson amenant avec lui une femme grecque achetée au marché des esclaves du Caire (!), qu'il finira par épouser. De nombreux visiteurs se succèdent dans la demeure qui est devenue un passage obligé connu de tous, et célèbre pour son confort. Fêtes et réceptions sont données régulièrement.
Après le départ des deux hommes, la tombe ne reste pas inoccupée longtemps: Edward Hogg et son ami Fulgence Fresnel y résident, puis Karl Lepsius, suivi par Alexandre Rhind et par l'artiste américain Joseph Smith avec sa famille. Après eux, la maison est démantelée petit à petit par les habitants de Gournah qui réutilisent ses briques et son bois.