Le propriétaire de la tombe thébaine TT78 se nomme Horemheb (Hrw-m-h3b, Hr-m-hb, Heremheb, Horemhab, Haremhab, "Horus est en fête"), comme le pharaon bien connu, mais les deux personnages ne sont pas contemporains : notre Horemheb a vécu environ 80 ans avant le souverain.
Bien qu'il n'ait pas atteint les plus hautes sphères du pouvoir, Horemheb porte des titres importants, civils, militaires et religieux et il jouit de la faveur royale. En témoignent les dimensions de sa tombe, la variété de ses titres, la diversité des décors dans la tombe, dont le style et l'exécution font de ce monument un des fleurons de la XVIIIe dynastie et un sommet de l'art pariétal égyptien. Ainsi, les scènes de danse et de musique, ou le défilé des africaines et de leurs bambins, sont particulièrement réussies.
Par ses textes et ses images, TT78 apporte une contribution significative à la connaissance de la culture égyptienne du milieu de la XVIIIe dynastie. De plus, fait historique notable, c'est dans la chapelle d'Horemheb (et dans celle, voisine, de ), que se trouvent les plus anciennes représentations pariétales connues de scènes du jugement des morts.

Situation et histoire de la tombe

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TT78 est un bel exemple de ces sépultures de grande qualité artistique qui ont été réalisées vers le sommet de la colline de Cheikh Abd el-Gourna entre les règnes de Thoutmosis IV et d'Amenhotep III.
Une partie de la décoration date du règne de Thoutmosis IV (~ 1413-1403 av. J.-C.) et une autre partie de celui d'Amenhotep III (~ 1403-1365 av. J.-C.). Mais on apprend également par les textes qu'Horemheb était déjà au service d'Amenhotep I (~ 1439-1413 av. J.-C.). Il aura donc servi trois pharaons (et vécu sous quatre, puisqu'il est probablement né sous Thoutmosis III).

Les parties supérieures du monument étaient restées accessibles, ce que montrent des graffiti de visiteurs et des traces d'habitat. Dans la première moitié du XIXe siècle, la tombe est visitée par Champollion, Rosellini, Wilkinson, Hay, Burton et Lepsius. En 1894 la première description est publiée par Bouriant, largement incomplète, notamment au niveau des textes. Ceux-ci sont repris par Helck, mais là encore incomplètement. En 1901, la tombe est nettoyée, puis dotée de portes métalliques deux ans plus tard. Les peintures murales, qui présentent de nombreuses lacunes, sont restaurées en 1911 et 1916 par Robert Mond.

Horemheb : ses titres et fonctions

Ces titres sont de deux ordres : des titres de cour ou honorifiques - qui ne correspondent pas à une activité réelle - et des titres en rapport avec des fonctions exercées.

Titres de cour

Horemheb est gratifié de vingt-deux titulatures honorifiques, qui renseignent sur le rang du propriétaire et l'estime dans laquelle le tient le souverain. Ces titres honorifiques sont toujours placés au début de la titulature du personnage : "Prince et comte", "familier du roi", "grand confident du Seigneur des Deux Terres", "confident préféré", "aimé du dieu parfait", "proche d'Horus", "proche du Seigneur du palais", "flabellifère à la droite du roi", "vrai scribe du roi, qui l'aime", "compagnon du Seigneur des deux terres", "compagnon du porteur de la force", "les yeux du roi dans le pays", "un de ceux qui amènent le bien dans la maison royale et qui en sort aimé", "aimé", "issu d'un être aimé."

Titres en rapport avec une fonction

Horemheb en porte vingt-et-un différents, avec cinq variantes dans l'écriture. On constate que l'éventail de tous ces titres recouvre les trois sphères, militaire, civile et religieuse.
• Les titres militaires d'Horemheb se trouvent dans la salle transversale et datent du règne de Thoutmosis IV. On voit qu'il atteint les plus hautes strates de l'armée : il commence comme "Scribe royal", puis devient "vrai scribe royal" et termine comme "responsable de tous les scribes de l'armée". Il va terminer au sommet, devenant "responsable du recrutement et de l'organisation des troupes" : tous les soldats et officiers actifs lui sont subordonnés. Ceci explique pourquoi, dans la scène du repas, on ne compte pas moins de cinq commandants de l'armée parmi les invités.
• Ses fonctions recouvrent la sphère militaire et civile, et c'est lui qui reçoit les tributs des pays étrangers, et qui en contrôle les populations. Il est également "Directeur des bêtes à cornes", "Directeur des oiseaux et des poissons", ce qui lui confère le contrôle des chasses et des domaines royaux.
• Ses fonctions dans les temples de Karnak et dans les domaines d'Amon () sont de la plus grande importance :"Directeur des champs d'Amon", "Directeur des bestiaux d'Amon", "Directeur des constructions d'Amon", "Premier des prêtres de Haute et de Basse-Égypte". Leur représentation est cantonnée à la salle longue ; cette dernière ayant été décorée sous Amenhotep III, ces titres sont donc effectifs sous le règne de ce roi.

Horemheb précepteur

La princesse assise sur les genoux d'Horemheb, s'appelle "Amenemipet". Il s'agit probablement d'une fille de Thoutmosis IV. Or un fonctionnaire qui se fait représenter avec une princesse sur les genoux ne peut être que son précepteur, une position éminente pour un personnage somme toute subalterne.
Ceci corrobore ce qu'on sait de Thoutmosis IV : ce pharaon était entré en conflit avec la haute aristocratie et certaines familles de prêtres d'Amon et avait favorisé de nouveaux personnages. On retrouve la même situation dans le titre de "commandant des chevaux", c'est à dire général de la cavalerie, titre dévolu en principe à des soldats d'active de haut rang, mais parfois accordé à de hauts fonctionnaires que le roi voulait honorer.

La famille d'Horemheb

a)- Sa mère

Elle s'appelle Isis. Elle a sans aucun doute joué un rôle important dans la vie et la carrière de son fils, malgré son titre modeste de "Maîtresse de maison". En effet, elle est représentée dans les scènes d'offrandes de la même taille ou même plus grande que son fils. Elle porte des bijoux en or, notamment de grandes boucles d'oreilles en forme de disque – ce qui peut traduire une origine nubienne.

b)- Son père

Nous n'avons aucune information sur lui, et son nom n'est jamais mentionné ; il est fait allusion à lui dans les titres d'Horemheb qui précisent qu'il (Horemheb) était aimé et issu de la chair d'un être aimé, et que son père était aimé.

c)- Son épouse

Elle se nomme Itjouy (ou Atjouia) et elle est représentée onze fois dans la chapelle, mais une seule représentation est intacte. Elle est désignée comme "sa sœur", terme habituel à la XVIIIe dynastie pour désigner l'épouse. Elle porte les titres de "maîtresse de maison" et de "chanteuse d'Amon". Ce dernier titre était réservé aux femmes des hauts fonctionnaires, et traduit une position sociale élevée. Atjouia est toujours – sauf une fois – représentée plus petite que son mari, ce qui en dit long sur sa position par rapport à sa belle-mère Isis !

d)- Ses frères

• Le premier, l'aîné, a été martelé, tant au niveau de la représentation que du nom.
• Le second, Amenemhat, porte le titre de "commandant des troupes nubiennes du roi".
• Le troisième, Amenhotep, n'a pas de titre.
Amenemhat et Amenhotep sont d'origine nubienne, comme en témoignent leurs coiffures et leurs boucles d'oreilles (ce qui ne signifie pas qu'Horemheb le soit aussi, on ne sait pas).

e)- Ses enfants

Horemheb avait-il des enfants ? Il semble certain que le jeune garçon qui l'accompagne dans la scène de chasse dans le marais est un de ses fils ; il est possible aussi qu'une des jeunes femmes participant au banquet soit sa fille.

Aspect général de la tombe

Le plan est celui en "T" inversé, classique pour la XVIIIe Dynastie, avec un court passage d'entrée qui s'ouvre dans une salle transversale orientée nord – sud, suivie d'une salle longitudinale dans l'axe est-ouest de l'entrée.
On admettra par convention que l'axe de la chapelle suit bien l'orientation canonique est-ouest, bien qu'il soit dévié vers le nord. Ainsi l'entrée de la tombe se trouvera bien "à l'est", regardant le soleil levant, comme il se doit.
Il existe dans cette tombe TT78 ce que nous appellerions aujourd'hui des , liées à l'incompétence, au laxisme ou à des contraintes imposées par le terrain.

En franchissant l'entrée, on descend deux marches, et après être passé par un petit couloir ruiné, on aboutit dans la salle transversale, qui comporte deux ailes, nord et sud. En face de l'entrée s'ouvre le passage menant à la salle longitudinale, étroite et longue ("le passage"). À son extrémité (ouest), on aboutit dans une pièce inachevée à quatre piliers. Dans le coin nord-ouest s'ouvre une galerie ("sloping passage") qui mène au complexe souterrain, anépigraphe, qui se termine par la chambre funéraire.
À l'extrémité gauche (sud) de la salle transversale se trouvait une fausse porte peinte et du côté droit (nord) une stèle qui avait été soit apportée de l'extérieur, soit façonnée en plâtre sur place ; l'une et l'autre ont quasiment disparu.

La cour

La cour, grossièrement rectangulaire, mesure 9×7 m. Elle est inachevée, plus ou moins comblée de gravats et on a du mal aujourd'hui à la reconnaître.
Elle est taillée dans une roche friable et s'ouvre vers le sud-est ; son côté nord-ouest constitue la façade de la tombe, avec au milieu l'entrée dans la chapelle. Il est possible que cette cour ait été bordée sur les côtés de murs en briques crues.


La façade et l'entrée

La façade mesure 10 m de large et 4 m de haut. Presque verticale, elle a été taillée dans une roche de mauvaise qualité, comme la cour, puis elle a été recouverte d'un enduit fait de limon du Nil. Autour de l'entrée, on trouve les traces laissées par deux montants de porte, qui ont disparu ; Hari a proposé de les voir dans deux pièces du musée de Turin, mais c'est peu probable.

Au-dessus de la partie taillée se dressait un mur de façade massif, en briques. C'est au niveau de ce mur – et peut-être aussi des murs entourant la cour - qu'étaient alignés, dans une rainure, des au nom d'Horemheb, référencés par Macadam & Davies sous le numéro 476.

Le corridor d'entrée mesure 2 m de long, 1,27 m de large et 2,5 m de haut. Son décor a complètement disparu. Deux marches descendent jusqu'à la salle transversale.

La salle transversale

Cette pièce, qui mesure en tout 10,40 m de long (soit 20 coudées égyptiennes) sur 2 m de large (4 coudées), est divisée en deux ailes, nord (droite) et sud (gauche). Le sol est irrégulier, formé par un rocher incomplètement aplani.
Le plafond est situé à 2,5 m de haut (soit 5 coudées) et bien plat. Il est décoré de motifs géométriques habituels à cette époque, avec des losanges formés et entourés de lignes en zigzag. À la partie centrale, une fausse poutre en bois a été peinte.

Le passage vers la salle longitudinale est correctement centré sur la paroi ouest ; il mesure 1,15 m de long et tout son décor a disparu. On descend alors dans la seconde salle ressemblant à un couloir par une marche de 30 cm.

La salle longitudinale

Elle mesure 10,50 m de long et 2 m de large. Le plafond, légèrement bombé, se trouve à 2,5 – 2,8 m de haut et comporte lui aussi une fausse poutre peinte.

Le fond de la salle longitudinale s'ouvre sur un espace trapézoïdal d'environ 7×6 m, mal dégrossi, comportant quatre piliers à section grossièrement carrée, de 1 m de côté, taillés dans la masse. Trois alcôves abritent des inhumations tardives.
L'apparition de cette chambre à piliers après le couloir longitudinal a sans doute été inspirée par la tombe TT93 de Kenamon, proche et plus ancienne (). Cette pièce arrière est souvent appelée "chapelle" et représente l'endroit privilégié - mais non exclusif - où les offrandes sont faites.

Puits et salle souterraine

Le seul puits de cette tombe se trouve au nord-ouest de la salle de culte. Il prend la forme d'une descenderie courbe, en pente ("sloping passage') et aboutit, à 8 m de profondeur, à deux murs en briques, qui servaient à la fois de soutien pour les parois et de blocage de la chambre sépulcrale.
La salle du sarcophage est presque ronde et mesure environ 3,90 m de diamètre. Tous les murs sont bruts, taillés dans une mauvaise roche, et anépigraphes. Deux petites salles annexes restent de signification imprécise.

Le décor - Généralités

Seules les salles transversale et longitudinale ont été décorées.
Comme souvent à Gourna, la qualité de la roche n'est pas bonne, obligeant les ouvriers à rattraper les inégalités de la paroi avec de la mouna (limon mélangé à de la paille hachée), en couches parfois épaisses de plusieurs centimètres. Sur ce premier enduit, qui rend la paroi (à peu près) plane et uniforme, on applique un plâtre gris grossier, suivi d'un plâtre blanc très fin qui est lissé. Enfin, on peint sur cette surface.
Nous avons dans la TT78 plusieurs endroits inachevés qui nous permettent de suivre la technique d'application.

Le peintre débute avec de l'ocre rouge pour les esquisses ; on peut voir à certains endroits comment il les a corrigées et complétées. Prisse d'Avennes avait relevé certaines de ces esquisses (voir dessin BNF ci-contre).
On contourne l'esquisse avec un blanc cassé léger pour faire le fond. C'est à ce moment qu'on applique les vraies couleurs : le rouge, le jaune, le vert, le bleu, le blanc très pur, et le noir. À côté du rouge habituel pour la peau des hommes, on trouve un rouge brillant surtout dans les scènes royales, dans les hiéroglyphes et les morceaux de viande des offrandes. Les couleurs minérales insolubles sont préparées à l'eau avec un liant (le plus souvent une colle).
Dans l'ensemble, les couleurs sont très bien conservées. C'est surtout le noir qui a pâli, phénomène qui s'observe aussi dans d'autres tombes et qui est probablement dû à une adhésion insuffisante des particules de suie parce que le peintre a utilisé trop peu de colle.

Dans la tombe d'Horemheb, il est fait un usage abondant de vert et de bleu. Ces couleurs étant les plus chères, il est clair que le défunt fait par là étalage de sa richesse. De plus, elles n'ont pas été laquées, contrairement à d'autres tombes où elles sont utilisées en moindre quantité. De ce fait, elles ont fait l'objet de lessivages par des peintres d'époques ultérieures, afin d'essayer de récupérer les précieux pigments.

TT78 appartient à un groupe de tombes caractérisées par la présence de scènes militaires, dont la présence s'explique par certains des titres du propriétaire : TT91 (anonyme), Amenmès (TT89), Nebamon (TT90). Du point de vue stylistique, elles auraient en commun l'usage de contours marqués, des personnages dont les proportions du visage et du corps sont exagérées parfois à la limite de la caricature. Par contre, les détails sont peu nombreux.
L'anatomie féminine n'est guère sensuelle, en dehors d'une ligne sinueuse du dos qui, avec les bras relevés, laisse voir une taille "en sablier". Chez Horemheb, les jeunes filles ont des hanches plus larges, suivant en cela un changement qui intervient dans la sculpture de la seconde partie du règne d'Amenhotep III.
Comme dans d'autres tombes de l'époque d'Amenhotep III, certaines scènes seraient stylistiquement proches de scènes du palais royal sur le site de Malqata, à Thèbes.

Les destructions

La première impression lorsqu'on pénètre dans la tombe est celle de destructions étendues, tant au niveau des murs que du plafond. Pourtant, malgré les manques, toutes les scènes ont pu être reconstituées par les égyptologues. Ce qui a survécu de la décoration supporte la comparaison avec les plus belles tombes de l'époque.

Les martelages

Les vingt-deux (au moins) représentations d'Horemheb, ainsi que celles de sa femme Atjouia et de sa mère Isis ont été martelées intentionnellement et avec minutie, parfois en suivant simplement les contours du corps ou d'un vêtement. Par contre, trois figures d'Horemheb dans les scènes militaires, sans nom ni texte d'accompagnement, ont été respectées, soit parce qu'il n'a pas semblé nécessaire au scribe supervisant l'opération de les détruire, soit par ignorance.
Les martelages touchent aussi d'autres personnages : le prêtre-lecteur de la grande scène d'offrandes dans la salle longitudinale, le frère aîné d'Horemheb, et un surveillant dans la scène militaire.

Ont été martelées les scènes de l'ouverture de la bouche et certains passages de textes, comme aussi la plupart des noms d'Horemheb et de sa femme, certains titres et, quelquefois, le nom du dieu Amon – mais pas de manière systématique. On a l'impression que l'ouvrier avait reçu ses instructions d'un lettré, mais ne savait pas lire lui-même. Ainsi, dans la grande scène d'offrande du côté nord de la salle longitudinale, il a martelé les têtes d'Horemheb et d'Atjouia bien soigneusement, tandis qu'il n'a pas touché le nom "hrw-m-hb" se trouvant entre les têtes, qui est pourtant écrit en grands hiéroglyphes vivement colorés.

Les zélateurs d'Aton à l'époque amarnienne ont causé des dégâts limités dans la chapelle d'Horemheb : l'image d'Amon, malgré quelques déprédations, reste très présente, ainsi que les noms de dieux multiples.

De nombreux dommages semblent le fait d'inimitiés personnelles, de haines ou de ressentiment envers Horemheb et sa famille. Ils seraient alors dus à des contemporains, qui auraient œuvré peu après l'inhumation, pour gâcher la vie du défunt dans l'au-delà, voire l'empêcher d'y accéder.

Les réoccupations ultérieures de la tombe semblent à l'origine de la plupart des dégradations.
- Dans l'antiquité : La tombe semble avoir été réoccupée dès la XXIe dynastie. On peut imaginer que le nouvel occupant ne voulait pas avoir à cohabiter avec l'ancien propriétaire et le faisait disparaître. Ainsi, il pouvait "tuer" magiquement son prédécesseur et son cortège d'accompagnants en leur enlevant le souffle (d'où le martelage des scènes d'ouverture de la bouche et du nez).
- À la période chrétienne : Pour les chrétiens, coptes, ermites, ces représentations antiques étaient blasphématoires et on leur doit probablement un nombre impressionnant de griffures sur les visages

Le lessivage

Il touche des textes ou représentations peints en bleu, ainsi que des textes multicolores où le bleu et le vert dominent. Il s'agissait, pour des peintres d'époque plus tardive, de récupérer ces coûteux pigments afin de les réutiliser.

Les pilleurs de tombes

On en constate les ravages dans des scènes royales, d'offrandes, sur les fausses portes et les stèles ; certaines tentatives ont avorté, comme dans la scène du tribunal.