TT52 la tombe de Nakht et de son épouse Taouy

La tombe se trouve dans la nécropole thébaine, vers le bas de la partie nord de la colline de Sheikh Abd el-Gournah, entre le coin sud-est de l'Enclos Supérieur et le coin sud-ouest de l'Enclos Inférieur (voir le plan ci-dessous). Dans cette colline et la plaine en contrebas sont répertoriées aujourd'hui quelque 210 tombes décorées, dont plus de la moitié datent de la XVIIIe dynastie, les autres concernant essentiellement la XIXe et la XXe dynastie. Dans l'antiquité, il est probable que ce nombre était double, mais les monuments sont détruits ou perdus.
Parmi ces 210, il reste environ 50 tombes décorées remontant à la période Thoutmosis IV - Amenhotep III. La tombe de Nakht se situe près de la et de la  : ces deux tombes ont beaucoup de points communs dans la décoration avec TT 52.

TT 52 présente la forme classique des tombes de la XVIIIe dynastie, avec une cour ouverte, puis deux salles intérieures formant un "T" inversé, et un caveau souterrain.
La tombe est creusée dans la montagne thébaine selon un axe nord / nord-ouest, ce qui n'est pas conforme à l'axe est-ouest canonique idéal, l'est représentant le lever du soleil, le Nil, le jour et la vie, tandis que l'ouest symbolise le soleil couchant, l'obscurité, le royaume des morts. Les illustrent cette disposition idéale théorique sur laquelle nous nous baserons pour la description des salles intérieures : ainsi le soleil se lève à l'entrée de la tombe et se couche du côté du mur du fond contenant la statue. C'est ainsi que les anciens Égyptiens concevaient son fonctionnement.

Datation

Elle repose sur des signes indirects, car il n'existe aucune autre source d'information sur Nakht qui puisse être recoupée avec les données de sa tombe, et notamment aucune trace de ses activités professionnelles.
Or il n'y a rien dans la décoration du monument qui se réfère à un quelconque contexte historique : pas d'inscription, pas de représentation de souverain ni d'un autre personnage connu de l'époque. Son titre de "scribe", très banal, ne nous apprend rien d'autre que sa capacité à lire et à écrire. Son titre de "prêtre horaire" ou "prêtre des heures" au service d'Amon, reste mal compris.
Le style des peintures de la tombe se rapproche beaucoup de ce qu'on trouve chez Djeserkareseneb (TT 38), Amenhotep-si-se (TT 75) ou Nebseny (TT 108), toutes datées formellement du règne de Thoutmosis IV. La tombe de Menna (TT 69) présente également des similarités avec Nakht : elle est datée de la période de transition entre Thoutmosis IV et son successeur Amenhotep III.

Les représentations du couple formé par Nakht et sa femme, de caractère plus "religieux", restent traditionnelles et plutôt rigides. Par contre, les figures féminines, auparavant nobles et austères, sont devenues plus jeune, plus sophistiquées, plus sensuelles. Leurs formes généreuses sont révélées par leurs robes transparentes, et les tresses de leur perruque (un objet à forte connotation sexuelle dans l'Égypte ancienne) accentuent encore le caractère érotique de l'ensemble. Le tracé des yeux aussi a changé par rapport à l'époque précédente : ils sont grands et largement fendus en amande. Ces détails indiquent que la fin du décor au moins date de l'époque d'Amenhotep III. C'est un cas loin d'être unique : la brièveté du règne de Thoutmosis IV fait que nombre de sépultures débutées sous son temps n'ont pu être achevées que sous son successeur.

On ne peut s'empêcher de se demander, en voyant le nombre des tombes en chantier à cette époque sur le seul site de Gournah : "Mais où trouvaient -ils les ressources et la main d'œuvre pour mener tout cela de front ?" D'autant que tous les chantiers pharaoniques, temples, palais, édifices civils, complexes funéraires des souverains, restaurations et embellissements divers, etc… mobilisaient déjà les ouvriers. On estime à six mois la durée minimale pour décorer une tombe, même petite comme celle de Nakht, sans tenir compte du temps nécessaire à l'excavation et à la préparation des parois. Nul doute que la succession rapide de monuments à réaliser par les artisans soit à l'origine d'une certaine uniformité dans la décoration des sépultures de l'époque.

Pour une étude détaillée sur la datation des tombes de cette époque, leur décoration, et une foule d'autres détails, nous renvoyons à l'excellent livre "Tomb Painting and Identity in Ancient Thebes, 1419-1372 BCE" par Melinda K. Hartwig (voir bibliographie page 6) .

Histoire moderne de la tombe TT 52

statue stélophore de Nakht
Recolorisée par Jon Hirst

Ce sont les habitants de Gournah qui ont, les premiers, retrouvé la tombe. En 1889, quelques années plus tard, la tombe est enfin découverte par les scientifiques du service des antiquités, qui procèdent à son déblaiement.

Norman de Garies Davies étudie le monument et effectue les relevés appropriés entre 1907 et 1910, pour le compte du Metropolitan Museum of Arts, et la publication résultante parait en 1917. Pendant son travail, Davies réalise que le service des antiquités n'a pas fouillé le complexe souterrain, puits funéraire et chambres. Pendant ce dégagement, il trouve dans les débris qui comblent le puits, une splendide statue de Nakht qui, hélas, disparaîtra après le torpillage du bateau qui l'amenait vers l'Amérique, ne nous laissant du monument que quelques images en noir et blanc.
Les belles images des parois de la tombe, si souvent reproduites dans livres et magazines, ont été prises des années plus tard, après nettoyage et restauration des peintures. Les couleurs, qui étaient extrêmement brillantes ont, en moins d'un siècle, commencé à pâlir en plusieurs endroits. La faute en revient pour l'essentiel (mais pas uniquement), aux visiteurs admis en trop grand nombre durant les dernières décennies. La peinture présente des craquelures et commence à se détacher en petites écailles des parois. L'humidité due à la respiration des touristes est aussi cause d'infections fongiques qui attaquent les enduits.

Tout cela impliquait une action du Service des Antiquités. Désormais, les parois sont protégées des mains et à un moindre degré de la respiration des visiteurs par des panneaux de verre. Mais il en résulte un inconvénient majeur : la tombe était déjà étroite, elle est maintenant minuscule, et on a peine à s'y mouvoir. De plus, le charme du monument a en grande partie disparu ; reste la qualité des représentations.

Une autre différence par rapport à l'époque de Davies est la cour : elle a été comblée et se réduit à une volée d'escaliers modernes menant à l'entrée, la différence est bien visible sur les deux photos ci-contre.

Plan

Le plan de la tombe de Nakht est conforme au modèle type en "T" de la XVIIIe dynastie, avec, comme toujours, quelques variations. La chapelle de surface est modeste (mais il en existe de plus petites encore) : la pièce transversale mesure environ 5 × 1,5m et la pièce interne est presque un carré de 2,5 × 2,2m, formant ainsi les deux branches du "T" ; le mur du fond abrite une petite niche.
L'entrée de la tombe est située au nord / nord-ouest, mais la salle transverse qui la suit est légèrement déviée dans le sens horaire d'environ 10 degrés. La pièce est percée de deux ouvertures, celle donnant sur la cour, et celle qui établit la communication avec la salle interne. Les deux pièces ont une hauteur d'un peu moins de 2m.

Comme la plupart des tombes thébaines, celle-ci, malgré sa petite taille, est restée inachevée. C'est ainsi que la pièce interne, dont les murs avaient pourtant été préparés et lissés au plâtre, n'a pas reçu la moindre peinture. Plus encore, il existe des manques même dans la salle transversale, avec notamment des colonnes préparées pour du texte qui sont restées vides, et un registre bas totalement manquant sur la paroi à gauche de l'entrée. Certains égyptologues y voient une preuve que le monument qui a échu à Nakht a pu être à l'origine créé et décoré comme une tombe "générique", que le vizir octroyait à qui bon lui semblait. Cette théorie est vivement contestée par d'autres auteurs.

Un puits est creusé dans le sol de la chambre interne et débouche sur deux petites pièces anépigraphes.

Les personnages

1) - Nakht

Son nom signifie "fort", "puissant". Il porte les titres de "scribe" et de "prêtre horaire d'Amon" ou "prêtre des heures d'Amon". Ces titres sont bien modestes, et comme nous l'avons signalé, on ne trouve aucune autre trace du personnage dans la documentation qui nous est parvenue.
Son titre de "scribe" (souvent en seconde position) signifie que c'est un homme cultivé, tandis que le second, en Égyptien "Ounouti" est d'occurrence si rare dans les autres tombes qu'il doit indiquer une fonction très secondaire qui donnait rarement la possibilité de posséder une tombe en propre. Sur les textes des murs et sur la petite statue, on ne trouve pas moins de cinq graphies différentes du titre, ce qui confirme son importance pour Nakht , , , and
Le titre était à chaque fois suivi de "d'Amon", mais le nom du dieu a été effacé par les zélateurs d'Akhenaton.
Ce titre concerne une catégorie de prêtres ou de fonctionnaires dont la tâche exacte et le rang restent mal connus, même s'il semble clair qu'il désigne les membres d'une équipe qui devait accomplir son service à certaines heures de la nuit ou/et du jour. Il semblerait que l'on ait affaire à des personnes ne faisant pas partie intégrante du clergé ou de l'administration, qui n'habitaient pas dans le temple, mais qui consacraient une partie de leur temps à y accomplir certaines tâches, sans doute subalternes. Nous rendons le titre par "Prêtre horaire [d'Amon]", ou "Prêtre des heures". Le déterminatif de l'œil que l'on trouve à la fin de deux des versions du titre, ont fait supposer à certains que Nakht avait peut-être des fonctions en rapport avec l'astronomie, voire l'astrologie dans le temple d'Amon, bien que le mot "temple" ne soit jamais écrit nulle part.

Le nom et les titres sont habituellement suivis de la formule classique "Juste de Voix" que l'on interprète comme "justifié" ou "défunt bienheureux", ou encore "feu Untel". La raison en est bien connue : à cette époque, la personne doit comparaître devant le tribunal funéraire des 42 dieux, présidé par Osiris. Le défunt doit rendre compte de sa vie sur terre, de ses actions, en les exposant devant le tribunal, essentiellement sous la forme dite de "la confession négative" qui consiste en une énumération des mauvaises actions que le défunt n'a pas commises. La célèbre scène de pesée du cœur sur la balance avec sur l'autre plateau la plume de la déesse de l'équilibre du monde, Maât, n'est pas représentée chez Nakht. Rappelons au passage que, contrairement à ce qu'on lit souvent, pour que le défunt soit déclaré "Juste de Voix", il ne faut pas que la plume soit plus légère que le cœur, mais qu'il y ait équilibre : un cœur trop lourd traduirait trop de mauvaises actions, mais un cœur trop léger traduirait de la passivité, de l'inaction, également condamnée par la morale égyptienne comme l'illustre le "conte des deux paysans".

La raison pour laquelle Nakht a pu réunir les moyens et l'autorisation de réaliser sa tombe, et d'y employer des artistes de talent, est et restera un mystère, sauf si un miracle nous faisait retrouver des documents parlant de lui.
On peut par contre affirmer une chose : sa tombe date d'avant l'époque d'Akhénaton puisque le nom d'Amon est effacé, et nous pouvons avec une grande confiance dire que les travaux ont commencé sous Thoutmosis IV et se sont arrêtés (on ne peut pas dire achevés) sous Amenhotep III.

2) - Sa femme Taouy

C'est l'épouse de Nakht, souvent désignée dans la tombe comme "sa bien-aimée, la chanteuse [d'Amon]".
Mur nord, registre supérieur, elle est "sa sœur, sa bien-aimée, la chanteuse [d'Amon], Taouy, Juste de Voix". Sur le registre inférieur, les colonnes de texte à côté du couple sont restées vierges.
Mur sud, elle n'est évoquée que dans la partie centrale haute de la zone de la fausse porte, sévèrement endommagée. Il ne reste que "maîtresse de maison".
Mur est, côté gauche, on trouvait " sa sœur, la chanteuse d'Amon Taouy, Juste de Voix", mais seuls le début et la fin de la phrase ont résisté à l'arrachage du nom d'Amon.
Mur est, côté droit, on trouve "sa sœur, sa bien-aimée, qu'il a placée dans son cœur, la chanteuse [d'Amon, Taouy]"
Mur ouest, côté droit, elle est mentionnée deux fois sur le registre du haut. Tout d'abord dans le texte écrit en bleu comme "sa sœur, la chanteuse [d'Amon], la maîtresse de maison, Taouy", et à côté, en hiéroglyphes multicolores comme : "sa sœur, sa bien-aimée, qu'il a placée dans son cœur, [la chanteuse d'Amon] Taouy"
Mur ouest, côté gauche, aucun texte la concernant n'a survécu.
On remarque qu'elle n'est désignée que deux fois comme justifiée, et que le qualificatif "maîtresse de maison", qui indique formellement son statut d'épouse n'apparaît également que deux fois. On sait que le terme "senet" qui la désigne peut être traduit par épouse, mais aussi sœur, voire belle-sœur.
Le titre de "chanteuse d'Amon" est d'une grande banalité parmi les femmes d'un certain rang social ; il est probable qu'il servait à désigner une personne associée d'une manière ou d'une autre au temple d'Amon.

3) - Les enfants

Plusieurs garçons et filles apparaissent dans les décors, mais sont anonymes. Le seul expressément nommé est Amenemopet qui apparaît une fois, dans la scène de la Belle Fête de la Vallée. Son nom est amputé de "Amon". Il est désigné comme "son fils", mais sous une forme féminine : le fils d'une femme, mais il n'est pas mentionné en tant que fils de Nakht, et il est donc possible qu'il soit le fruit d'un premier mariage de Taouy.

4) - Les parents et autres membres de la famille

À la différence de beaucoup d'autres sépultures, aucune référence n'est faite aux parents de l'un ou l'autre des époux. Nous ne savons donc rien de la filiation de Nakht, ce qui est bien gênant.