Zone 3 : les artisans d'Amon

(, , , ) La représentation des métiers dans la chapelle de Rekhmirê est exceptionnelle et constitue une source majeure d'information sur l'artisanat dans l'Égypte ancienne. Rappelons que, si la haute société égyptienne appréciait indiscutablement les belles choses, elle ne valorisait pas le travail de l'artisan comme le montrent les descriptions de la Satire des Métiers et l'absence, dans la quasi-totalité des cas, de signature sur les oeuvres.

À droite nous trouvons une image de Rekhmirê debout, tourné vers la gauche ; bizarrement pour nous, il semble tenir de la main gauche un sceptre sekhem qui passe derrière son corps, ce qui est impossible. L'image que nous voyons représente une vision antisymétrique de la normalité et il faut comprendre que le personnage avance le pied droit, tient sa canne de la main droite et son sceptre de la main gauche… Derrière le vizir se tiennent quarante de ses adjoints répartis sur quatre petits sous-registres (, ).
Au-dessus du vizir se trouve un texte : "Inspecter tous les artisans du temple d'Amon [.] et donner à chaque homme les instructions pour sa tâche pour tous les types de produits" ; Rekhmirê est décrit comme "Celui qui établit les règles pour les prêtres et qui guide les prêtres-ouab dans leurs fonctions".

Premier registre (haut)

Fabrication de perles et colliers

Un homme, assis sur un tabouret, fore des perles à l'aide d'un archer et de poinçons. Il semble incroyable qu'une même personne puisse actionner ainsi plusieurs poinçons à la fois, et pourtant c'est possible, comme le montrent les expériences passionnantes de Denys Stocks ; la scène est d'ailleurs présente dans six tombes thébaines au moins.

Voici, en résumé, comment Stocks décrit cette opération :
Les outils destinés à perforer pierre ou bois ont évolué au cours des millénaires. Au début, le silex était utilisé pour faire des trous assez grossiers. La pratique de trous longs et fins a nécessité l'utilisation de poinçons constitués d'un manche en bois dans lequel est fiché une tige métallique fine, en cuivre ou en bronze. L'artisan tient son ou ses poinçon (s) dans sa main gauche, après avoir enroulé autour de chacune des tiges métalliques la corde d'un archet qu'il tient de la main droite. Il manouvre alors l'archet dans un mouvement de va-et-vient afin d'entraîner une rotation rapide des tiges. Le nombre de rotations peut atteindre 1500 / minute ().
Si la surface à percer est minérale, il rajoute une fine poudre abrasive faite d'une pâte de quartz. Ainsi, le perçage des perles à collier : les fragments à percer sont inclus dans un bloc de brique crue afin de les immobiliser. L'expérience a montré qu'une perle d'améthyste de 10 mm de diamètre peut être perforée par une pointe de 1 mm en 5 heures. En multipliant les poinçons, on multiplie évidemment le nombre de perles percées par unité de temps : nous avons ainsi la preuve qu'à cette époque une structure organisée de production de masse avait fait son apparition.

Derrière le foreur deux hommes sont occupés à enfiler les perles pour fabriquer des colliers ; un troisième semble passer une sorte d'aiguille dans une perle, sans doute pour affiner le trou. On imagine le temps qu'il fallait pour produire un simple collier de pierreries auquel, il faut bien l'avouer, nous ne jetons souvent qu'un regard rapide dans une vitrine de musée…

Fabrication de vases de pierre

Elle se réduit à l'image d'un homme échevelé qui fore un vase à l'aide d'un foret à mèche composé de deux parties en bois, surmontées par une pierre de lest hémisphérique sur laquelle est fichée une "manivelle" ; la partie inférieure se termine par une fourche entre les dents de laquelle un croissant de silex est coincé par un bâtonnet de bois.
Signalons au passage que le hiéroglyphe du foret, Gardiner U24 ou une variante () en était venu à déterminer la plupart des mots en rapport avec l'artisanat - un exemple se trouve dans le texte qui surplombe Rekhmirê.

Scène finale

Du côté droit, un homme flaire la terre devant le vizir tandis qu'il lui présente les fruits du labeur des artisans de la pierre : des rangs de perles vertes et rouges (grosses et petites) et des vases ().

Second registre

(, ).

Il est consacré au travail du cuir, essentiellement la fabrication de sandales, bouclier et carquois, une activité qui n'est plus que rarement représentée à l'époque de Rekhmirê, remplacée par la fabrication d'objets destinés à la charrerie au sein d'une "filière" bois-cuir. Les peaux ne sont pas tannées au sens moderne du terme, elles sont épilées et raclées, étirées sur un trépied ou sur un cadre, trempées encore mouillées dans l'huile ou la graisse - afin de les ramollir et de les imperméabiliser -, puis martelées, séchées, découpées avant d'être façonnées. Les outils spécifiquement destinés à ce travail du cuir sont représentés à côté des artisans : grattoir, polissoir, peigne, alène, poinçon…

Le fruit de ce labeur est déposé devant le vizir (, ) : sandales de deux types ; rouleaux de cuir blanc ou rougeâtre - on se rappelle que 40 exemplaires sont mentionnés dans les Devoirs du Vizir. Derrière, un homme apporte boucliers et carquois.

Un tanneur, penché sur un trépied, frotte une peau d'avant en arrière, soit pour l'étirer, soit pour l'assouplir. À côté, une peau, fortement tendue par un aide, est découpée en bandes à l'aide d'un couteau à lame hémisphérique ; quatre bandes déjà coupées sont visibles. Dans le petit registre du dessus, un autre tanneur gratte énergiquement sur une pierre la peau qu'il maintient avec ses pieds. Le personnage suivant plonge une peau dans une jarre d'huile ou de graisse afin de la ramollir (). À sa gauche, un cordonnier découpe des lanières de cuir qui serviront pour les sandales () ; on voit d'ailleurs son compagnon assis en vis-à-vis qui tire avec les dents une lanière d'orteil à travers le trou d'une semelle () tandis qu'un autre perce les oilletons où se fixeront les lanières (, ). Plus à gauche, on retrouve un tanneur en train de frotter une peau et un cordonnier qui perce une semelle.

À l'extrême gauche, un homme a découpé une peau en lanières si fines qu'elles peuvent être étirées pour ensuite servir à tresser un cordage de marine. Derrière, un artisan termine une pièce ronde ().

Troisième registre

Il est subdivisé en deux demi-registres et consacré au travail du bois, menuiserie et ébénisterie.
Les articles sélectionnés pour être présentés au vizir consistent en un coffre incrusté, le manche d'un éventail et un repose-tête ; en dessous, un chef d'atelier présente une statue en pied d'un pharaon en ébène ou bois noirci, avec des dorures et tenant en main un casse-tête à boule d'argent - elle ressemble étonnamment à un des exemplaires trouvés dans la tombe de Toutankhamon (). Derrière la statue, un dessinateur et un graveur travaillent ensemble sur une chapelle destinée à contenir cette statue ().
Un homme passe un mélange de colle et de stuc sur une planche, tandis que son camarade prépare la colle (). Un ébéniste est en train de raboter une planche ; il dispose d'outils efficaces : un billot de bois comportant une encoche rectangulaire, une herminette à lame large, une embase et une équerre ().

La technique pour scier les planches n'a pas changé depuis l'Ancien Empire : il s'agit de permettre au menuisier, dont la scie en cuivre n'est guère performante, de scier droit, sans vibrations et sans coincer sa lame. La planche est attachée serrée sur un pieu vertical solidement fiché en terre - cette première phase se retrouve à l'extrémité du registre - () ; dans la fente déjà sciée, on introduit entre les deux lèvres une tige de bois, dont l'une des extrémités passe sous le noud, tandis que l'autre est lestée d'une pierre. Ainsi le noud est serré, les vibrations sont empêchées et l'écartement reste constant. En enlevant la pierre, le noud se détend et permet de remonter la planche pour continuer le sciage.

Pour les petites pièces, le menuisier se contente de les tenir d'une main, comme cette bûche d'ébène. À côté, trois hommes sont à califourchon sur une colonne papyriforme qu'ils polissent () ; elle est destinée à reposer sur un socle en pierre figuré par un disque blanc. En dessous, nous trouvons deux menuisiers penchés sur un lit. Ils percent les orifices destinés à recevoir le cordage à l'aide d'un foret à pointe de bronze (jaune) actionné par un archet plus petit que celui utilisé pour les perles (, ). À côté, un homme est en train de scier une petite pièce de bois tandis que son compagnon travaille sur un pilier Djed ().

Une chapelle en bois jaune est en train d'être façonnée ; ses deux vantaux, terminés, sont représentés au-dessus d'elle. Un menuisier travaille le bois à l'herminette, tandis qu'un ébéniste peaufine l'incrustation d'amulettes Tit et Djed en ébène. Ces amulettes sont sculptées par les deux personnages assis.
Deux hommes taillent des mortaises dans de grosses pièces de bois, l'un avec une hache, l'autre avec un ciseau à bois et un maillet (), tandis qu'à côté un menuisier dégrossit un bloc à grands coups de hache (, ). Pendant ce temps, deux menuisiers travaillent sur une chaise : l'un y perce des trous avec un foret pour le cannage (), l'autre termine un pied en patte de lion dont le tenon est bien visible.
À l'extrême gauche, deux hommes polissent une petite chapelle reposant sur un traîneau ().

Quatrième registre : le travail du métal

La pesée

Elle représente une étape à la fois préliminaire et finale capitale : le poids des métaux délivrés aux métallurgistes et celui des objets finis doivent bien sûr concorder…
Elle est illustrée juste devant Rekhmirê (, ) : un homme règle le peson d'une balance qui comporte sur un de ses plateaux cinq anneaux d'or et sur l'autre deux poids : l'un, vert, en dôme, l'autre, rose, représente une tête de taureau ; on retrouve ces mêmes poids et un troisième en forme d'hippopotame dans une corbeille au pied de la balance (). Un scribe note le résultat de la pesée. Devant lui se trouvent des anneaux d'or et d'argent dans une corbeille. Le texte d'accompagnement dit : "Pourvoir aux besoins des orfèvres d'Amon et des superviseurs des artisans d'Amon afin d'accomplir tout le travail de la résidence, conformément à leurs tâches quotidiennes, leur nombre étant en millions et centaines de milliers, en présence du maire, le vizir, le directeur des Six Grandes Maisons, Rekhmirê".

L'étape finale est représentée par les hommes qui s'approchent : l'un tient un gros vase en argent, tandis qu'au-dessus un autre flaire la terre devant des vases et autres objets en or et argent ().

L'orfèvrerie

Les étapes principales de la réalisation de récipients en argent et en or sont représentées (mais pas dans le bon ordre) : fonte du métal, mise en forme, soudure, polissage et décoration.
Un homme agenouillé frappe à l'aide d'un percuteur en pierre une plaque d'or sur une enclume en pierre enchâssée dans un bloc de bois, afin d'obtenir une feuille fine et régulière, plate (comme représentée au-dessus) ou bombée (). Pour continuer à façonner la pièce puis la polir, l'artisan utilise une sorte de trépied formé par une branche fourchue couplée à une tige, en bois ou en métal, qui passe à travers la branche et pénètre dans l'encolure du récipient à forger () ; une pièce supplémentaire devait être ajoutée à son extrémité afin de servir d'âme selon la forme recherchée pour le martelage.
Les essais qui ont été réalisés montrent que le polissage, dont une seule étape est représentée chez Rekhmirê, est la phase la plus longue et la plus fatigante de tout le processus de fabrication.

La phase finale est la décoration qui se fait soit par incision à l'aide d'un burin et d'un marteau, soit au repoussé.
La soudure est une étape indispensable, mais qui reste mal comprise ; elle explique la présence d'un petit foyer avec les outils nécessaires, baguettes de bois vert et pince (). Un homme attise le feu au moyen d'un tuyau de roseau terminé par un embout métallique ; il est en train de fabriquer une petite pièce qui ira s'ajouter à l'encensoir et aux deux coupelles derrière lui. Le texte dit : "Fabriquer différents récipients à l'usage personnel du dieu et un grand nombre de vases d'or et d'argent, chacune de ces fabrications étant permanente".

Fonderie et coulage

Les scènes occupent la moitié gauche du registre. Deux groupes sont représentés accomplissant en double deux tâches, maintenir la chaleur du foyer et faire fondre le métal (, ). Il s'agit sans doute de montrer le travail de plusieurs équipes lorsqu'il faut couler une grosse pièce. Les fourneaux sont des cavités creusées dans le sol et revêtues de pierres ; le combustible est du charbon de bois. Pour attiser le feu, un ingénieux système de soufflet a été mis au point : un sac en cuir rouge est fixé à un support blanc (, , ). L'ouvrier debout sur les sacs peut ainsi travailler sans grande fatigue en balançant son poids d'un pied sur l'autre en même temps qu'il tire sur une des ficelles ; l'air sous pression est expédié directement dans le foyer par des pipes en roseau dotées d'un embout en argile. À côté des foyers se trouvent un tas de charbon et un vase large (contenant peut-être de l'eau pour refroidir les outils) (). Le creuset contenant le métal est déposé et retiré du foyer au moyen de tiges de bois ().

Le coulage d'une pièce en bronze de grande taille destinée à une porte monumentale (les deux vantaux sont représentés) se fait dans un moule percé de 17 orifices de remplissage (, ). Il s'agit d'obtenir de l'équipe une coordination parfaite, ce que confirme la manouvre quasiment militaire des trois métallurgistes qui se hâtent, outils tenus en mains comme des armes (). Devant eux, on lit : "Ils disent : Salut Menkheperrê, souverain aux beaux monuments, à qui la vie est donnée pour l'éternité ! Il existe, comme ils existent, pour l'éternité. Il (Amon) lui donne leur pareil en vie et joie. Pour toujours et à jamais il dédicace des cadeaux dans la maison de son père divin".

Sur la droite, des porteurs amènent dans des paniers le charbon et le minerai aux forgerons () ; le premier déverse son panier sur un tas de charbon (). Au-dessus d'eux on peut lire : "Apporter le cuivre d'Asie, que Sa Majesté a ramené de sa victoire dans le pays de Retenou, afin de couler les deux portes du temple d'Amon dans Karnak, ses surfaces recouvertes d'or qui brille comme l'horizon du ciel. C'est le maire, le vizir Rekhmirê qui a dirigé tout cela".