L'époque amarnienne est une des plus passionnantes de l'ancienne Égypte. C'est aussi une de celles qui a suscité le plus de travaux et de controverses.
Notre but ici n'est pas d'être exhaustif sur le sujet, mais d'offrir au lecteur une vision qui essaie d'être objective en fonction des données historiques qui semblent avérées. De nombreux points restent néanmoins sujets à discussion ou à interprétation.
Avec le règne du pharaon Akhenaton, le vieux pays d'Égypte va connaître une exceptionnelle période de bouleversements et une des expériences spirituelles et religieuses les plus fascinante de l'histoire de l'humanité.
Sous l'impulsion du pharaon Amenhotep (Amenhotep) IV- Akhenaton et de sa belle et célèbre épouse Néfertiti (), ce que l'on a coutume d'appeler "l'hérésie amarnienne" (du nom de sa capitale Amarna) ou "l'expérience amarnienne" va tenter de bouleverser les croyances traditionnelles d'une civilisation multimillénaire.
Il s'agit d'un sujet à la mode et de nombreux ouvrages paraissent régulièrement sur Akhenaton et Néfertiti, de qualité variable et qui reflètent hélas souvent plus les rêves de leurs auteurs que la réalité de la documentation. Quant encore les protagonistes ne sont pas complètement désacralisés dans des réclames pour savonnette ou autre… Mais même chez les égyptologues, l'évocation de cette période entraîne des réactions et prises de position souvent passionnées, tant les questions sous-tendues sont importantes pour l'histoire religieuse et l'histoire des idées en général.
Il faut dire que la personnalité du roi Akhenaton, ainsi que la signification et la portée de son action et de sa pensée ont été très diversement appréciées. Ainsi à la fin du XIXème siècle, le grand égyptologue anglais, Sir Flinders Petrie, le premier à avoir compris l'importance historique d'Akhenaton, le décrivait à la fois comme le premier monothéiste et le premier individu de l'histoire et écrivait : "un homme qui fut incontestablement un génie et qui parvint à broyer la carapace millénaire des habitudes, des superstitions et des conventions de la société et tint courageusement tête à la puissance du clergé et des autres dignitaires".
Freud dans "L'homme Moïse et la religion monothéiste" voyait une filiation entre le prophète et le roi (voir ).
De nos jours, beaucoup d' historiens plus matérialistes ont renversé du tout au tout ce jugement et nombreux sont ceux qui considèrent Akhenaton comme un tyran, un despote fanatique, voire un malade mental et un athée !
Alors, nous allons essayer d'y voir un peu plus clair, en nous appuyant sur les faits avérés dont nous disposons. Pour cela, il nous faut remonter loin dans le temps, vers les années 1350 avant notre ère, dans l'Égypte impériale du Nouvel Empire, au temps du père d'Akhenaton, le pharaon Amenhotep III.
LA SOCIÉTÉ ÉGYPTIENNE A LA FIN DU RÈGNE D'AMENHOTEP III
L'Égypte est déjà une très ancienne civilisation, puisque les pyramides se dressent depuis plus de 1000 ans sur le plateau de Gizeh. Le pays possède une très vieille tradition, qui a su résister et s'affirmer malgré les vicissitudes de l'histoire.
Ce sont les pharaons de la glorieuse XVIIIème dynastie qui gouvernent le double pays d'Égypte depuis un siècle après en avoir chassé les envahisseurs étrangers. Cette occupation du pays a laissé des marques profondes dans l'imaginaire collectif. Et c'est pour se garantir de nouvelles invasions, que l'Égypte s'est constitué un immense
qui s'étend depuis la 4ème cataracte du Nil, dans l'actuel Soudan, jusqu'à l'Euphrate et à la limite de l'Anatolie ()
Et sous le règne d'Amenhotep III, l'empire est à son apogée. Les immenses richesses que représentent les tributs payés par les nations sous domination affluent vers la vallée du Nil et contribuent à une prospérité générale qui se marque notamment par les riches dotations aux temples traditionnels et par l'abondance d'une production architecturale et artistique dont le raffinement ne sera jamais dépassé par la suite.
L'enrichissement du pays et les contacts externes ont favorisé la transformation de la société égyptienne. Désormais, c'est une société plus ouverte, une société surtout devenue cosmopolite, avec une présence et une influence de plus en plus importante des étrangers installés en Égypte.
Et ainsi, petit à petit, les mentalités se sont modifiées… Les conséquences en sont multiples, aussi bien pour ce qui concerne les conceptions sur la nature de la royauté que sur la spiritualité, avec un développement de l'idée impériale qui se superpose au développement du culte solaire. On proclame l'universalisme du pouvoir royal sur terre comme celui du soleil Ra dans le ciel. Les épithètes laudatives fleurissent, le roi étant appelé "roi des rois, prince des princes", et déjà "Aton pour tous les pays". Et les théologiens vont de plus en plus associer le dieu solaire par excellence, Ra (), à tous les autres dieux du panthéon, à commencer par Amon.
AMON
La XVIIIème dynastie s'est placée depuis le début sous la protection du dieu Amon de Thèbes, promu dieu dynastique, dieu d'empire ().
"Roi des dieux et dieu des Rois", Amon a vu son rôle de divinité principale du pays se renforcer petit à petit, et il est maintenant amalgamé au grand dieu Ra, sous la forme d'Amon-Ra. Cette solarisation d'Amon fait du soleil la principale forme de la divinité, tandis que les autres dieux représenteraient des manifestations particulières à un moment donné et à un endroit précis ().
Amon - dont le nom veut dire "le caché", celui qui ne s'est pas encore manifesté - représente maintenant un dieu démiurge par excellence, un dieu qui a créé et qui recréé chaque jour le monde. Il est de plus en plus considèré comme
Cette interprétation qui consiste à faire dériver le multiple de l'un s'impose progressivement dans les classes dominantes et chez les lettrés - de plus en plus nombreux -. Elle s'inscrit typiquement dans la tradition et la mentalité égyptiennes, et il ne viendrait à l'esprit de personne à ce moment de vouloir effacer, renier d'autres entités divines pour autant !
Amon, c'est aussi le garant suprême du droit et de la morale, dont la volonté se manifeste par des oracles, notamment par ceux qu'il rend aux fidèles qui le consultent lors de ses sorties en procession les jours de grandes fêtes.
Inutile de dire que ces spéculations passent largement au-dessus de la tête du fidèle de base, et d'ailleurs aucun effort de vulgarisation n'a jamais été entrepris pour essayer d'expliquer ces conceptions à un peuple misérable qui avait bien d'autres soucis beaucoup plus concrets et qui faisait largement confiance aux petits dieux et génies qui veillaient sur sa vie quotidienne.
Toutefois, Amon n'est pas resté uniquement un dieu officiel et lointain. Il a su gagner la confiance de nombreux Égyptiens qui en ont fait leur dieu personnel, leur interlocuteur divin privilégié.
Car à cette période se développe progressivement une nouvelle conception des rapports entre les dieux et les hommes, qu'Assmann appelle la "nouvelle théologie de la volonté divine". Elle accompagne l'émergence d'une forme de piété personnelle, d'une relation directe de l'homme avec son dieu, qui n'existait pas dans les époques antérieures. Amon est ainsi devenu celui qui sait écouter celui qui l'implore, qui sait pardonner, qui sait consoler. Il est désigné comme "celui qui secourt les humbles", "celui qui donne la force aux malheureux". On peut le prier, le fléchir, il pardonne les fautes si on peut justifier d'une conduite irréprochable si, comme le disent les textes, on a "suivi le chemin de la Maât".
Il faut dire ici un mot de la déesse Maât () [NB: pour ]
Maât est le fondement de la compréhension du système religieux et de la société égyptienne. La Maât, c'est le monde organisé, l'ordre, la stabilité la justice qui règne. Maât c'est l'équilibre entre les forces antagonistes qui gouvernent le monde. L'univers apparaît comme une machine harmonieusement réglée selon ses lois qui établissent un équilibre dynamique entre le monde lointain des dieux et la solidarité sociale du monde des hommes dont Pharaon a la responsabilité.
Le rôle du roi, est donc de faire régner la Maât sur terre. Et l'offrande suprême que le roi fait aux dieux, est une figurine de cette déesse : par cette offrande, le roi leur signifie que, grâce à son action personnelle aidée par celles des hommes, le monde terrestre est conforme à ce qu'ils demandent. À charge maintenant pour eux d'agir en retour pour les hommes.
C'est cette réciprocité qui est fondamentale dans toute la religion égyptienne et c'est sur elle que repose la continuité du monde.
Remarquons ici quelque chose de très important pour la suite : dans la conception traditionnelle, le roi fait régner la Maât sur terre, mais il n'est pas la Maât.
Parallèlement à la montée du dieu Amon, la puissance temporelle de son clergé s'est considérablement accrue, ainsi que son pouvoir politique. Pour s'en convaincre, il n'est que de regarder la magnificence du grand temple de Karnak où chaque souverain avait à cœur de laisser sa marque par des travaux architecturaux et les listes impressionnantes de dons divers qu'il recevait.
De plus, la volonté d'Amon, on l'a dit, s'exprimait par l'intermédiaire des oracles. Oracles rendus par les prêtres bien sûr ! Ces oracles ont même parfois pu permettre à certains souverains dont la légitimité n'était pas évidente d'accéder au trône (par exemple la reine Hatchepsout).
Et de fait, cette puissance du dieu et de son clergé se manifeste très clairement dans l'apparition de la notion de théogamie. Le pharaon va apparaître non plus comme le fils de son père et de sa mère, mais comme le fils de sa mère et d'Amon qui s'est incarné dans son père. Par ce processus de théogamie, il renforce ainsi sa filiation divine et son rôle traditionnel de garant de la Maât.
Par le biais des oracles, le dieu et son clergé pouvaient approuver ou censurer la conduite des particuliers, mais il existait un danger potentiel qu'il en fasse de même de la conduite royale. Cette menace semble avoir été insupportable à Akhenaton, nous le verrons.
Ainsi donc, on assiste à cette époque à une consécration du dieu Amon-Ra, et parallèlement à une reviviscence des cultes et de la dévotion solaire, en particulier dans la famille royale. Et c'est dans ce contexte d'un dieu Amon triomphant, que le dieu Aton va faire son apparition.
ATON
Qui est ce dieu Aton qui sera le centre de la réforme qu'Akhenaton essaiera d'imposer ?
En fait, ce n'est pas un dieu nouveau, car on trouve mention de son nom dans les textes des pyramides, soit 1000 ans plus tôt ; il s'agit alors d'un nom commun désignant le disque solaire, dérivé d'une racine verbale signifiant "être loin". Cela devait se prononcer quelque chose comme "yati(n)". Avec le temps, le "n" terminal est tombé.
Il n'est pas vraiment ressenti comme une divinité particulière, mais simplement comme le disque en mouvement.
Nous avons vu que sous le règne du père d'Akhenaton, Amenhotep III, le dieu Amon est considéré de plus en plus comme une manifestation du soleil sous la forme Amon-Ra. On considère maintenant qu'il accomplit en tant qu'Aton, le disque solaire visible partout et par tous, son périple céleste et qu'il enserre de ce fait tout l'univers de sa puissance et y insuffle la vie. Dans l'expression "pa-Aton-ankh"
, le mot ankh (= vie) pourrait traduire la différence entre le disque et les objets traditionnels de culte, telles les statues qui sont inertes et donc sans intérêt. C'est pourquoi il faut peut-être voir dans l'Aton la lumière, source de vie, qui est dans le soleil, qui a été si génialement représentée par des rayons se terminant par des mains.
Pendant toute la XVIIIème dynastie, cette dynamique solaire universelle est mise en parallèle avec le pouvoir royal qui est lui aussi de plus en plus considéré comme universel. Il y a là une sorte de retour en arrière vers l'Ancien Empire, une sorte de néo-héliopolitannisme religieux, la "Nouvelle théologie solaire" ; à partir du règne de Thoutmosis IV (un règne charnière pour de nombreuses choses) s'y associe une volonté politique de retour à la toute-puissance monarchique des temps plus anciens.
Progressivement on voit une relation de plus en plus forte se nouer entre Aton et le roi. Ainsi quand Amenhotep III sort de son palais, c'est Aton qui se lève à l'horizon, quand il marche sur les pays étrangers, c'est Aton qui parcourt le ciel, et un vizir a pu se décrire comme étant "celui qui contemple le disque en son horizon", c'est-à-dire le roi dans son palais. Cette montée d'Aton sous Amenhotep III est aussi attestée par le nom "Aton est resplendissant" donné à un des palais et à la barque royale d'apparat. Un des corps d'armée égyptiens prend également le nom d'Aton.
On assiste aussi à une multiplication des colosses à l'effigie du souverain. Ces colosses représentent une matérialisation du corps divin du roi, et ils sont l'objet d'un culte. Cette tendance se poursuivra sous Akhenaton, conformément à l'idée que celui ci se faisait de sa fonction.
Ainsi, Aton est déjà bien présent à la fin du règne d'Amenhotep III. Notons, et c'est important, que la dévotion solaire de ce souverain est très différente de ce que sera celle d'Akhenaton. Le roi continue à participer au grand voyage diurne et nocturne du soleil, et aide celui-ci à renaître au matin après avoir vaincu ses ennemis du monde souterrain, et notamment le serpent Apophis.
AMENHOTEP IV - AKHENATON MONTE SUR LE TRÔNE
Voilà où nous en sommes lorsqu'en l'an 1352 avant J.-C. (environ) un grand malheur frappe le Double-Pays d'Égypte : le pharaon Amenhotep le troisième vient de mourir…
Après les 70 jours rituels, il a été inhumé en grande pompe dans , et c'est son fils aîné survivant qui monte sur le trône ().
Sa légitimité est incontestable, et incontestée puisque son frère aîné Thoutmosis était déjà mort.
Cette montée sur le trône a peut-être été précédée par une période de
avec son père, mais ceci est très discuté.
C'est un débat toujours passionné qui a donné lieu à une thèse de Leslie Bailey qui conclut...qu'on ne peut pas conclure !
1)- Le nouveau souverain
En l'état actuel de la documentation, il n'est pas possible de répondre avec certitude à la question : quel âge avait Amenhotep lors de son accession au trône ? Question pourtant essentielle pour comprendre si ses idées et son énergie à les appliquer sont ceux d'un homme ou d'un adolescent. La plupart des historiens pensent que, en l'état actuel des connaissances, le roi devait avoir une dizaine d'années à son avènement.
Il s'appelle donc Amenhotep, comme son père (ou Aménophis, déformation grecque du nom égyptien Amenhotep - Imn htp, "Amon est satisfait"). Cette dénomination fait donc directement référence au dieu Amon [NB: selon Jan Qaguebeur, Amenhotep serait une faute car ne dériverait pas d'Imn-htp mais d'Imn-m-Ipt].
2)- L'enfance du roi
Nous ne savons pratiquement rien de la jeunesse de celui qui deviendra le pharaon Amenhotep IV.
Ce dont on est sûr c'est qu'elle s'est déroulée à une période de réelle crise du polythéisme, comme si les Égyptiens n'arrivaient plus tout d'un coup à gérer leur immense monde divin et avaient éprouvé la nécessité d'insister sur l'unité du divin plus que sur la diversité des dieux, notamment en redonnant une place de choix aux très anciens cultes solaires. Certains lettrés, minoritaires, allaient même très loin en rejetant comme autant de superstitions les arcanes compliqués de la religion traditionnelle au profit d'une interprétation d'esprit rationaliste qui privilégiait la seule réalité visible.
Ce mouvement de pensée a été qualifié de phénoménologie par le grand spécialiste de la religion égyptienne Jan Assman. Il aboutit à rejeter tout ce qui est construction intellectuelle (spéculations théologiques et mythes) ou spiritualité : la foi n'a rien à faire dans un tel système.
Tout ceci marquera profondément le jeune prince, comme probablement aussi l'influence de sa mère, la Grande épouse Royale d'Amenhotep III, la reine Tiy dont la puissante personnalité a certainement joué un rôle ().
Le jeune Amenhotep a déjà épousé celle qui est peut-être sa cousine, peut-être la fille de - la belle Néfertiti (dont le nom signifie "la belle est venue") () qui devient de ce fait la Grande Épouse Royale qui est censée donner naissance à l'héritier mâle du trône, ce qu'elle ne fera pas.
3)- An I et an II
Pendant les deux premières années du règne, rien ne semble changer.
Le roi s'est fait couronner à Thèbes, la ville d'Amon, comme ses prédécesseurs avant lui. Il a adopté une titulature très traditionnelle, qui fait clairement référence à Amon, et garde son nom de naissance Imen-htp. Ses très rares représentations à n'avoir pas été détruites adoptent le canon traditionnel. C'est ainsi que sur le linteau d'entrée de la tombe de , qui exerça ses fonctions à cheval sur les règnes d'Amenhotep III et IV, on voit le roi (dont les cartouches sont martelés) faire offrande classique à Amon ().
Cependant dès cette époque (il a donc entre 11 et 12 ans) il introduit une nouvelle entité divine solaire basée sur Horus de l'Horizon (Horakhty) qu'il nomme "Ra-Horakhty en sa nature de lumière solaire qui émane du Disque Aton", faisant de Ra un "souverain de l'horizon" établissant ainsi sa proximité avec la royauté terrestre.
En l'an 2, le roi se proclame Grand Prêtre de cette nouvelle composition divine, tout en continuant à honorer les dieux traditionnels, jusqu'à la coupure de l'an 4. Ces deux périodes sont bien illustrées dans la tombe TT55 du vizir Ramose.
Amenophis IV a alors 13-14 ans. Il vient d'épouser Néfertiti qui apparaît à ses côtés sur les monuments, et décide de célébrer sa fête-Sed (une cérémonie qui normalement n'est célébrée qu'après 30 ans de règne). Le but de cette fête-Sed semble avoir été la volonté du roi de "se diviniser" lui-même et de souligner la nature consubstantielle de sa royauté et de celle d'Aton dont le nom dogmatique apparaît maintenant dans des cartouches.
Les choses commencent à bouger aussi au point de vue architectural
Le roi ordonne la construction, à l'est du domaine d'Amon à Karnak, de plusieurs édifices dédiés au dieu Aton. Pour cela, il a choisi la zone entourant l'obélisque dit unique (ils vont habituellement par paires) de Thoutmosis III, symbole héliopolitain et icône de la pierre solaire primitive d'Héliopolis, le Benben, qui unit le ciel et la terre.
Et dès ce moment, on note des innovations qui ont profondément ébranlé et choqué les mentalités de cette société si traditionnelle et conservatrice. Le souverain a initié une véritable révolution architecturale et artistique. Puisque le disque solaire (Aton) est maintenant le seul interlocuteur du prêtre unique (Akhénaton), qu'il baigne dans ses rayons divins, on fit l'économie des toits. Les murs n'ayant plus à supporter des dalles de dizaines de tonnes, il n'était plus nécessaire de les faire aussi solides et épais qu'auparavant. Alors apparaît une nouvelle brique en grès standard, la talatate, mesurant 1 coudée (52 cm) × 1/2 coudée (26 cm) × 23 cm ; les talatates pouvaient être portées par un homme mais pesaient tout de même une cinquantaine de kilos ( ; voir ). La construction s'en trouve considérablement accélérée, mais le démantèlement qui suivra l'époque amarnienne aussi, bien sûr .
Surtout, les représentations figuratives subissent des changements importants. Certes, les canons de fond, notamment la perspective couchée sont respectés et l'on n'hésite pas à reconnaître les œuvres comme égyptiennes, mais les personnages deviennent très étranges. Dimitri Laboury a montré qu'il ne s'agit pas d'une phase transitoire mais que ces changements se sont maintenus tout au long du règne.
Cette innovation dans la décoration est une volonté royale délibérée, basée sur le pharaocentrisme absolu de l'idéologie atoniste et une tendance esthétisante, mais sans hyperréalisme. Certains sculpteurs, comme Bak (), disent expressément qu'ils ont reçu leur enseignement du souverain lui-même. La statuaire monumentale combine un aspect androgyne et un changement de la grille des proportions utilisée jusque-là, qui passe de 18 à 20 carreaux de hauteur ; il en résulte une élongation de la partie haute du thorax et du cou. Cette élongation s'explique par la parallaxe (incidence du changement de position de l’observateur sur l’observation d’un objet) sur la statuaire monumentale. Les changements se répercutent ensuite dans la décoration des parois de monuments ou de tombes. Les axes verticaux deviennent des diagonales, d'où l'allongement des têtes et des couronnes.
Le roi (et les autres personnages de la famille royale d'ailleurs), est représenté avec un crâne allongé, un long cou mais une tête rejetée vers l'arrière, de grosses lèvres (, ). Il est presque toujours coiffé du casque bleu (Khepresh) ou du némès, et ce dernier adopte une forme ronde qui rappelle le disque solaire. Des hanches larges et féminines () lui donnent parfois un aspect androgyne qui a fait couler beaucoup d'encre, puisque certains en ont conclu qu'il était un dégénéré, atteint d'une maladie endocrine, ce qui est faux.
Dans l'art amarnien, tout ce qui était statique, fixé pour l'éternité est maintenant en mouvement. Cette notion de mouvement se retrouvera, comme nous le verrons, dans les relations du roi avec son Dieu et notamment dans la présentation haute des offrandes (). On la retrouve aussi dans les scènes de la vie privée de la famille royale, par exemple dans les rubans flottant au vent pour matérialiser le souffle divin.
Il est probable que le roi a donné l'ordre de ne rien cacher des caractéristiques physiques de la famille royale (les crânes retrouvés sont effectivement allongés) () et même de les accentuer, à la fois par ce souci de naturalisme qui va caractériser la nouvelle religion, et aussi par la volonté de créer un choc dans les esprits par rapport à la tradition. L'art amarnien apparaît ainsi comme une distorsion maniériste de la réalité, une forme d'expressionnisme en rupture avec les canons classiques.
Rappelons qu'en Égypte ancienne les représentations ne sont jamais neutres. Au contraire, elles sont l'essence même de l'idéologie royale.
En se faisant représenter sous une forme ambiguë, à la fois masculine et féminine, ou encore sous forme asexuée, le roi a au moins deux buts. D'abord il se présente ainsi comme la fusion du père et de la mère du pays, comme l'être humain primordial, l'émanation non sexuée du dieu Aton, dont il est l'unique représentant sur terre. D'autre part, en rapprochant son iconographie de celle de la reine Néfertiti, il gomme de plus en plus les différences qui pouvaient exister entre eux. Et c'est une nécessité, une sorte de chassé-croisé car lui, le roi, va monter d'un cran en s'assimilant à Aton, et il faudra que la place qu'il laisse vide soit occupée : elle le sera par la reine Néfertiti.
4)-Rôle de Néfertiti
Néfertiti va ainsi jouer un rôle majeur dans la religion amarnienne. Déjà aux époques précédentes, la Grande Épouse Royale avait pris une place de plus en plus grande dans la théologie et l'organisation du culte, mais maintenant elle tient une place presque aussi importante que le roi. Ainsi sur les stèles, les statues, chaque fois que l'on aura la place matérielle pour le faire, c'est le couple royal que l'on représente et non le roi seul.
Et l'on verra aussi la reine s'approprier des insignes de pouvoir qui étaient strictement réservés auparavant à pharaon. Elle sera représentée par exemple en train de massacrer - fictivement - les ennemis de l'Égypte, ou d'accomplir des rites spécifiquement royaux du culte divin ce qui était impensable avant cette époque.
Des restes de grands colosses "osiriaques" qui alternaient avec les piliers sur la façade de la cour du temple montrent cet aspect extraordinaire que le roi avait adopté ( et ). On trouve trace par ailleurs de représentation d'une fête-Sed (). Le roi n'ayant bien entendu pas, et de loin, atteint le délai habituel pour ce type de fête jubilaire, il faut y voir une autre signification, qui est plausible mais qui reste hypothétique : la volonté de marquer le début d'une nouvelle ère.
LE DÉPART VERS AMARNA
Jusqu'à la 4ème année de son règne, celui qui est toujours Amenhotep IV partage sa résidence entre Memphis (près du Caire) qui est toujours resté la capitale administrative de l'Égypte, et Thèbes qui est plutôt la capitale religieuse.
A l'évidence, il conçoit dès le début l'état égyptien comme une théocratie dont Aton est le souverain, et lui-même le représentant sur terre.
Pendant cette période, il s'emploie donc à développer le culte de son dieu Aton, et parallèlement à essayer de reprendre à son profit l'administration du domaine d'Amon, aussi bien pour casser la dynamique religieuse du grand dieu que pour essayer de réduire la puissance temporelle de son clergé et aussi pour récupérer les immenses richesses d'Amon dont il a besoin pour son programme de grands travaux.
Car en effet à partir de l'an 4, le roi décide de rompre franchement avec Thèbes. Ceci est une simple constatation, car il n'existe aucun document qui nous parle de la crise religieuse avec le clergé d'Amon. Il va choisir d'édifier une nouvelle capitale en Moyenne Égypte à mi-chemin entre Thèbes et Memphis, sur le site connu actuellement sous le nom de Tell el-Amarna ou plus simplement Amarna (). Cet endroit est également proche d'Akhmim, d'où l'on suppose que sont originaires les parents de la reine.
Le roi nous explique comment il aurait (?) choisi cet endroit : il a été guidé par Aton lui-même qui, un jour où il naviguait sur le fleuve, s'est levé exactement dans l'échancrure que faisait dans la falaise rocheuse l'ouverture du lit desséché d'un ouadi, dessinant ainsi le hiéroglyphe Akhet qui représente l'horizon en égyptien ancien ().
Des calculs astronomiques ont permis de situer l'épisode fondateur le 21 février 1351 avant J.-C. à 5h30 du matin : c'est alors que le soleil apparut dans l'échancrure du ouadi principal qui troue la falaise cernant le cirque rocheux, réalisant le signe hiéroglyphique de l'horizon (Akhet).
Et la nouvelle capitale fut baptisée Akhet-Aton, c'est-à-dire l'Horizon du Disque.
Tout autour de l'immense cirque rocheux qui entoure l'emplacement de la ville (), le roi va faire graver dans le rocher 14 stèles () où il précisera les raisons du choix du site : outre l'endroit de la "révélation" d'Aton, c'est également un terrain vierge n'appartenant à aucun temple, à aucun domaine funéraire. Ce qui n'est pas entièrement exact, car de l'autre côté du Nil, tout près, se trouve la cité d'Hermopolis, l'antique cité du dieu Thot ().
La construction de la ville s'étendra de l'an 5 à l'an 7 ou 8, ce qui est très rapide bien sûr, et mobilisera une part importante des ressources économiques et humaines du royaume.
C'est en ce lieu, qu'il a choisi lui-même, que le roi va pouvoir pleinement développer ses conceptions sur Aton et sa nouvelle vision du monde.
Le site web " " est consacré à une reconstitution en 3D de la ville.