La tombe d'un haut personnage de la XVIIIe dynastie joue un rôle important dans le souvenir qu'il laisse de lui même (et dans une moindre mesure de sa famille) et elle constitue un point de contact avec les ancêtres. Sur terre, elle contribue au maintien ou à l'extension des liens sociaux par le biais des fêtes qui y sont célébrées et participe du prestige du propriétaire.
Par ailleurs, une tombe est, par sa nature même, un espace liminal, entre le royaume des vivants et le monde souterrain : il se crée lors d'un banquet festif un environnement approprié par l'association du rituel, de la musique, de la danse et de l'alcool, pour que les frontières entre les mondes deviennent perméables et que les vivants puissent interagir avec les morts.

Sous le nom moderne de "banquet" (qui n'a pas d'équivalent en égyptien ancien) on regroupe des scènes qui se trouvent surtout dans la salle transversale de la chapelle des tombes thébaines et la salle longitudinale à Elkab. Le défunt, seul ou avec son épouse, est assis devant une table déjà bien garnie d'offrandes alimentaires et florales.
Le maître préside un "repas" dont les invités sont disposés sur plusieurs registres de la paroi (parfois à distance les uns des autres). Il réunit parents, amis et collègues du défunt, vivants ou morts. On en distingue deux types que nous appellerons "repas funéraire" où les invités ont de la nourriture à leur portée, et "banquet festif" où des serviteurs des deux sexes les incitent à boire jusqu'à l'ivresse, tandis que musiciens et danseuses les réjouissent. Nous allons voir que ces représentations d'allure triviale véhiculent aussi de puissants messages symboliques, qui tournent autour d'un thème : le renouvellement perpétuel de la vie.

À la XVIIIe dynastie on voit apparaître sporadiquement près du défunt et un peu à part des invités, un harpiste solitaire, parfois aveugle, obèse ou difforme. Il déclame un chant qui s'adresse préférentiellement au propriétaire de la tombe et secondairement à tous les vivants. La mélopée débute par une formule introductive (incipit), une constante du genre ; puis vient un texte qui, le plus souvent, décrit positivement la vie dans l'au-delà, mais qui se montre dans certains cas plus sceptique et exprime des doutes, "car nul n'en est revenu". Enfin, le chanteur incite les auditeurs à profiter de leur temps de vie.
Ci-contre on voit un exemple frappant d'un tel personnage : sur la , supérieur des prêtres, et de son épouse Renesankh, datant de la XIIe dynastie (musée de Leyde), le harpiste Neferhotep déclame un des premiers exemples connus de chant du harpiste.

Les "banquets" peuvent être séparé en deux types (Nicola Harrington) : le repas funéraire et le banquet festif, qui peuvent coexister dans la même tombe, à proximité l'un de l'autre ou éloignés ; c'est ainsi que, chez Horemheb TT78 et chez Rekhmirê TT100, l'un se trouve dans la salle transversale et l'autre dans la salle longitudinale.

Le repas funéraire

Le repas funéraire est un évènement unique puisqu'il s'agit de la rupture du jeûne après le décès. On en trouve des représentations depuis la fin de l'Ancien Empire.
Les convives, qui ne sont souvent que des hommes, ont une attitude guindée, sans aucune ébauche de mouvement. Ils sont tous assis de manière identique, tournés vers le défunt et son épouse (ou sa mère) qui est le point de convergence de la composition. De la nourriture est le plus souvent représentée, parfois devant chaque participant. Il n'y a que très rarement des musiciens, des serviteurs ou servantes et jamais de jeunes filles à peine vêtues. Ce repas partagé par les membres de la famille, les amis et les collègues de travail est très formel, et l'artiste ne se permet rien de non conventionnel. Aucun érotisme ne se dégage de ces représentations qui n'ont pas pour vocation d'encourager à l'amour.

Le banquet festif : incitation à l'amour et rôle social

Les scènes de banquet gravées ou peintes vont se répandre dans les tombes du Nouvel Empire, pour culminer pendant la XVIIIe dynastie, où elles ne manquent quasiment jamais (Lise Manniche), avant de décroitre. Elles disparaissent pendant la période amarnienne : dans les tombes privées de Tell el-Amarna, les représentations d'Akhénaton et de la famille royale remplacent celles du propriétaire de la tombe.
Si ces scènes sont largement présentes dans les tombes thébaines, elles sont également retrouvées à Elkab, à Saqqara, dans des chapelles votives du Gebel el-Silsileh ainsi que sur des stèles, des boîtes en bois, des linteaux de portes…

Images et textes mêlent, sous une forme symbolique, les thèmes de la sexualité et de la renaissance avec ceux des funérailles, de la Belle Fête de la Vallée, et d'autres repas commémoratifs tenus dans la tombe. L'érotisme est incontestablement présent, et les banquets sont placés sous le patronage d'Hathor, déesse de la joie, de l'ivresse et de l'amour; c'est ainsi que, dans la TT100 de Rekhmirê, on voit le vizir et son épouse recevoir des sistres hathoriques que leur tendent leurs filles (voir ci-contre).
Les légendes qui accompagnent ces images de banquet sont rarement explicites : on ne nous dit pas où se tiennent les convives (chapelle, cour de la tombe, ailleurs ?), ni quand, ni à quelle occasion ils ont lieu (funérailles, jour(s) de fête, autre ?); la même imprécision s'observe pour les légendes accompagnant les tables d'offrandes. On peut y voir l'expression d'une tendance profonde des Égyptiens : créer des scènes intemporelles et qui ont plusieurs niveaux de lecture.

Où se déroulent ces banquets ?
La question fait toujours débat. Certains continuent de penser qu'on a représenté dans la chapelle un évènement qui se déroulait ailleurs. Mais la plupart des spécialistes s'accordent à dire que des repas ont bien lieu dans la chapelle et/ou la cour de la tombe.
Argument supplémentaire, on sait maintenant que le possesseur d'une tombe institue son propre culte funéraire pendant son temps de vie, imitant en cela son souverain dont le Temple de Millions d'Années entre en service de son vivant. Le culte ainsi rodé est fonctionnel à son décès.

Quand ont-ils lieu ?

Certaines grandes fêtes constituent des moments privilégiés pour les banquets festifs, ce que confirment les inscriptions assez fréquentes où le défunt demande à participer à telles ou telle fête.
La plus importante est la (Belle) Fête de la Vallée. Au cours de cette fête, la barque d'Amon traverse le Nil pour visiter le Temple de Millions d'Années du pharaon régnant, puis ceux de ses ancêtres, avant de se rendre à Deir el-Bahari. Ce faisant, le cortège passe aussi devant les chapelles de la nécropole – du moins devant celles dont l'accès est le plus aisé.
Parents et amis sont censés se réunir à cette occasion et participer à un banquet dans la chapelle ou dans la cour de la tombe. On peut même voir le propriétaire de la tombe représenté encore vivant en train de participer à la fête et le trouver un peu plus loin en défunt bienheureux recevant les offrandes ! Ce genre de paradoxe temporel ne pose aucun problème aux anciens Égyptiens.