Le mastaba de Meryteti de son "beau nom" Meri

Le mastaba de Meryteti, comme celui de Watetkhethor, appartient au grand complexe funéraire de Mererouka. Il est situé dans le secteur nord – est de la nécropole de Saqqara, près du bord du plateau, juste au nord de la pyramide de Teti, premier roi de la VIème dynastie. À cette époque, le pouvoir royal est sur le déclin, ce qui est attesté par les pyramides des souverains qui sont petites et de qualité médiocre.
Par contraste, on peut apprécier l'ascension des grandes familles aristocratiques : le pouvoir et la richesse qu'elles ont acquis leur permettent de se faire édifier de grands et somptueux mastabas qui bénéficient d'un programme décoratif de haute qualité. Accueillir cette nouvelle abondance de décors va exiger un changement dans l'agencement interne du monument, afin de disposer du maximum de paroi libre. Nous en reparlerons un peu plus loin.

Jacques de Morgan, alors directeur général du Service des Antiquités, découvre en juillet 1883 le mastaba de Mererouka. Le Service reconstruit le bâtiment et le dote d'un toit, puis l'ouvre au public. Dès 1912, le mastaba doit être partiellement désensablé. Il faut attendre 1936 pour que Prentice Duell fasse paraître la première publication significative sur le monument. Elle reste néanmoins très limitée quant aux textes, et les photos en noir & blanc n'intéressent que les pièces dévolues à Mererouka lui-même, à l'exclusion des chambres de son épouse Watetkhethor et de son fils Meryteti. Cet ouvrage fait suite à un petit opuscule, sans grand intérêt, qu'avait donné Georges Daressy une quarantaine d'années plus tôt.

En 2004, la partie du mastaba qui est dédiée à Meryteti a enfin fait l'objet d'une publication de qualité par Naguib Kanawati et Mahmoud Abdir-Raziq. Les auteurs ont complété cette première publication par celle des chambres de Watetkhetor, puis par celles de Mererouka lui même.

Le mastaba de Meryteti constitue une partie de celui de Mererouka, qui est le plus vaste (en nombre de chambres) et le plus complexe découvert à ce jour. À l'origine, le monument ne comptait que deux parties : une grande destinée à Mererouka lui-même et une plus petite, dans le coin sud–est, pour son épouse Watetkhethor. Ultérieurement, un ajout a été réalisé sur le côté nord pour les appartements de leur fils Meryteti.

Pour s'y retrouver dans les pièces de surface (encore regroupées sous le titre "la chapelle"), les parties appartenant à Mererouka portent le préfixe "A", celles de Watetkhethor la lettre "B", et enfin celles de Meryteti la lettre "C". À chaque section est annexé un puits funéraire qui conduit à une chambre funéraire particulière située sous terre, près de l'endroit où se trouvent les fausses portes de la chapelle correspondante.
Nous allons présenter rapidement l'ensemble du complexe funéraire, puis nous nous intéresserons plus spécifiquement à la partie appartenant à Meryteti. Nous verrons à cette occasion combien l'histoire architecturale du monument est liée à des conflits d'intérêt ainsi qu'à de probables soubressauts politiques qui ont influé sur la vie de Meryteti car celui-ci fut, un temps, l'héritier putatif du trône d'Égypte.

Meryteti et sa famille

Meryteti, porte le "beau nom" (ou nom choisi) de Meri .
L'association des deux noms ne se retrouve que dans les pièces spécifiques à son père. Il n'est pas mentionné ainsi dans les salles qui lui sont propres. Il est possible que le nom complet ait été effacé de ces dernières par son frère, Pepyankh. Nous examinerons en détail plus tard les changements imputables à Pepyankh et leurs causes. Le "beau nom" a été effacé (dans certains cas) dans les salles de son père Mererouka, mais pas dans celles de sa mère Watetkhethor.
Tout comme son père, quoiqu'en moindre proportion, il est titulaire de nombreux titres (voir ) qu'on ne trouve jamais rassemblés tous au même endroit. Certains sont héréditaires, certains purement honorifiques, mais d'autres correspondent à des fonctions bien réelles. Il en détenait certainement déjà la plupart avant d'accéder au très haut poste de vizir.
En effet, Meryteti, tout comme son père Mererouka avant lui, porte le titre de "Vizir du roi (Teti) de Haute et Basse Égypte", une fonction qui faisait de lui le second personnage de l'état, car il cumulait les fonctions d'un Premier Ministre et d'un Ministre de la Justice.

Mererouka, de son "beau nom" Meri le père de Meryteti, n'est représenté qu'une seule fois dans la chapelle de son fils, bien que ce soit très certainement lui qui l'ait débutée (et peut être finie). Beaucoup de ses nombreux titres sont partagés par Meryteti. Pour plus de détails sur lui, veuillez vous reporter aux pages qui lui sont spécifiquement consacrées.

Watet-khet-hor, de son "beau nom" Seshseshet est la mère de Meryteti, mais elle n'est jamais représentée dans la chapelle de son fils. Elle détient des titres religieux, mais aucun titre administratif. Il s'agissait d'un personnage important, puisqu'elle est "fille aînée du roi, de son corps", ce qui faisait de Meryteti un petit-fils de roi, probablement de Teti.

Nebet est une épouse de Meryteti. Elle porte deux titres :"connue du roi" and "Prêtresse d'Hathor, dame de la chapelle (sud) du sycomore". On la trouve une fois en C1 et deux fois en C4. Elle est toujours désignée comme "sa femme, son aimée".

Ihy ou encore Ihyemsaef est le fils aîné de Meryteti, représenté en C1, C3 et C4. Il est évident d'après la représentation en C4 que Ihy et Ihyemsaefsont une seule et même personne. En C4, il est désigné comme "son fils aîné, son aimé", tandis qu'ailleurs on trouve simplement "son fils" ou encore il est représenté à l'endroit habituellement réservé au fils.

Niankhmin , un autre fils, n'est représenté que sur le mur sud de C3.

Memi , appelé plus tard Pepyankh est le demi-frère de Meryteti et l'aîné des enfants de Mererouka (avec une autre épouse que Watetekhethor) Il a usurpé l'extension du mastaba réalisée pour Meryteti et fait disparaître "de son beau nom Meri" du nom de Meryteti, à la fois dans la chapelle de ce dernier et dans celle de leur père (mais l'a respecté dans celle de sa mère). Sans lendemain, car la chapelle a été restaurée au nom complet de Meryteti.

Ibnebou est la soeur de Meryteti et la fille de Mererouka et de Watetkhethor. Elle n'est représentée qu'une fois dans tout le mastaba, dans la chambre B01 de Watetkhethor. Elle y est désignée comme "Sa fille, son aîmée, de son corps". Bien qu'elle soit représentée avec un corps de femme, sa natte latérale terminée par un disque caractérise son état d'enfant.

L'ensemble du mastaba

Le monument est souvent désigné comme "le mastaba de Mererouka", la majorité des visiteurs ne sachant pas qu'il concerne en fait trois personnes (l'absence complète de documentation à l'extérieur de la tombe n'aide pas à la compréhension). Pour la description d'ensemble, veuillez vous reporter à la page 1 de la section Mererouka. L'étude de cet extraordinaire monument se révèle passionnante.

Le mastaba est une structure qui apparaît dès le tout début de l'histoire égyptienne. Constitué d'un monticule solide de terre, de fragments de roches et de briques crues, il a la forme d'une pyramide tronquée, et rappelle le tertre primordial, première terre émergée de l'océan des origines (le Noun), sur laquelle aura lieu le processus de création.
Durant la VIème dynastie, on atteint le développement maximum des chapelles de surface destinées à servir de trait d'union entre les vivants et les morts.
Si la forme extérieure du mastaba n'a pas beaucoup changé durant le cours de l'Ancien Empire, il n'en est pas de même de l'aménagement intérieur. Avec des variations d'une nécropole à l'autre, on assiste à un agrandissement global de la structure et une complexification de l'architecture intérieure, en rapport avec le contexte socio-économique que nous avons évoqué.

Après les restaurations de la fin du XIXème et du début du XXème siècle, les dimensions extérieures du mastaba sont de 23m est-ouest, 30m sud-nord, porté à 41m avec l'adjonction des chambres de Meryteti, et 4,5m de hauteur.
Mererouka est le mastaba égyptien qui comporte le plus grand nombre de pièces : il n'y en a pas moins de 31 dans la superstructure (ceci inclut les chambres et les grands passages, mais pas les petits entre deux chambres, bien qu'ils soient parfois décorés). Mererouka dispose pour son usage propre de 21 pièces (préfixe "A"), son épouse Watetkhethor en a 5 (préfixe"B"), tout comme leur fils Meryteti (préfixe "C"). Il y a également trois puits funéraires menant à trois chambres sépulcrales souterraines indépendantes. Le puits de Mererouka s'ouvre dans la pièce A11, tandis que ceux de sa femme et de son fils descendent depuis le toit de l'édifice.
L'agencement des pièces est si compliqué qu'il donne l'impression d'un labyrinthe, et l'on n'exagère pas beaucoup en disant qu'il serait possible de s'y perdre. De nos jours, la lumière extérieure filtre un peu partout, et il y a quelques éclairages. Mais, dans l'antiquité, A les pièces étaient dans le noir, et on imagine que s'avancer à la lumière vacillante d'une petite flamme entre ces parois décorées devait être impressionnant.

L'abondance des chambres et des couloirs a entraîné une modification substantielle dans la conception du monument. Il ne s'agit plus ici "d'excaver" le matériau de terre et de fragments de pierre, et de plaquer ensuite de dalles de calcaire. Cette fois, les espaces vides sont plus abondants que les espaces pleins. Maintenant l'ensemble est construit en pierre, quelle que soit l'épaisseur des murs séparant des pièces contiguës. Si l'aspect extérieur du monument reste inchangé par rapport à la tradition, l'espace interne s'est inversé : de quelques pièces aménagées dans une masse, on est passé à des espaces soutenus par des murs.

Le plan nous montre que les pièces A dévolues à Mererouka forment un "L" qui entoure (partie en gris sur le plan), au nord et à l'est, les appartements B de Watetkhethor. Les pièces de Meryteti ont été rajoutées au nord, et n'ont pas de contact avec eux.
Bien que le mastaba ait une entrée unique, chacun des trois groupes est considéré comme une entité indépendante, avec sa propre fausse porte, son propre puits et sa propre chambre funéraire souterraine.

L'ajout de la chapelle de Meryteti

Le mastaba de Mererouka ne comportait donc au départ que deux parties distinctes, une grande pour lui, et une plus petite au sud-est pour son épouse Watetkhethor. Ce n'est que plus tard que le mastaba fut agrandi au nord pour Meryteti, obligeant pour cela à détruire une partie des reliefs du mur nord de la pièce A13, afin de ménager une ouverture pour cette nouvelle chapelle. Rappelons que Meryteti n'est pas le fils aîné de Mererouka, ce dernier, né d'une autre épouse, porte le nom de Memi, qu'il transformera plus tard en Pepyankh.

Watetkhethor apparaît aux côtés de son époux Mererouka dans toute la chapelle de ce dernier (salles A), tandis que Meryteti n'apparaît qu'à trois reprise, et uniquement dans la dernière pièce décorée. Il y a donc toutes les chances pour qu'il soit né alors que le monument était déjà bien avancé. D'autre part, il apparaît régulièrement dans la chapelle de sa mère Watetkhethor avec l'épithète "Son fils aîné". Il est donc vraisemblable que la construction (ou en tout cas la décoration) de sa chapelle a débuté après cette naissance.

On suppose que c'est Mererouka qui a initié la construction des salles "C" dévolues à son fils. Nims écrit : "Meryteti porte les hauts titres de Mererouka de droit héréditaire, et il est, par anticipation, représenté en adulte, avant d'avoir atteint sa majorité. Le fait que Memi, le vrai fils aîné de Mererouka par une épouse antérieure se soit fait passer devant, et que Meryteti soit devenu son héritier est certainement dû au fait que ce dernier soit le petit-fils du roi Teti".
La chance de Meryteti semble avoir tourné avec le décès du roi Teti (et peut être aussi celui de son père) et son remplacement sur le trône par son fils tardivement né, Pepy I.
C'est à ce moment que Memi, le fils aîné, décide de changer son nom en Pepyankh, afin de complaire au nouveau souverain, et de réclamer pour lui même les chambres "C" du mastaba. Quelques modifications furent alors faites sur les noms, mais aucune sur les scènes. Le titre, souvent répété, de "Fils aîné du roi, de son corps" fut changé en celui de "Meri, son fils aîné, de son corps", Meri pouvant s'appliquer aussi bien à Pepyankh. Aucun autre titre ne fut attaqué. Quelques modifications concernant Meryteti furent faites dans les salles de Mererouka, mais aucune dans celle de sa mère Watetkhethor.

Nouveau coup de théâtre : la chapelle retourne à Meryteti, sans doute après que Pepyankh se soit vu nommer à un important poste en province, ce qui lui permettait de se faire réaliser une sépulture personnelle dans son nôme de fonction.
Meryteti, redevenu le propriétaire, change alors le "ankh" dans "Pepyankh", qui se trouve toujours à la fin de listes de titres. Le cartouche de Pepy est alors incorporé dans un nouveau titre de Meryteti : "Inspecteur des prêtres de la pyramide de Pepy", et trois autres titres sont aussi ajoutés :
devint
Lorsque la place a manqué pour ces changements et additions, par exemple à l'extrémité de registres horizontaux, on écrit la fin dans la zone réservée aux images, sans hésiter à détruire si nécessaire.
Les représentations et inscriptions de la femme de Meryteti et de ses enfants, ainsi que les noms de serviteurs, sont des ajouts tardifs, datant probablement de la reprise de contrôle de la chapelle. C'est à ce moment que Meryteti (on ne voit pas qui cela pourrait être d'autre) décide de faire marteler les images et le nom de son frère aîné dans la pièce A13.
br> Une réserve s'impose : il n'est pas absolument sûr que l'usurpation de la chapelle par Pepyankh, même temporaire, ait été autorisée. D'une part, Meryteti, s'il n'était plus l'héritier du trône, restait le neveu du nouveau roi.
D'autre part, il est possible d'imaginer un arrangement à l'amiable entre les deux hommes, chacun y trouvant son compte.

Nous allons maintenant commencer la visite des pièces "C" de Meryteti.