La tombe de Nyankhnefertoum aussi connu sous le nom de Temi

Le complexe funéraire dont nous allons parler appartient au prêtre funéraire Nyankhnefertoum (ou Nyankhnefertem), surnommé Temi. Il a été découvert en 1997 à Saqqara, en contrebas de la partie ouest du mur d'enceinte de la pyramide de Djoser, à l'est du "fossé sec" ("dry moat"), par la mission polonaise de Saqqara, dirigée par le Pr Karol Myśliwiec. Cette découverte à succédé de peu à celle du mastaba du vizir Merefnebef (dit Fefi), son voisin.
L'étude, la publication et la conservation du monument de ce dernier ont duré plusieurs années, et il a fallu attendre 2003 pour que le travail dans le monument de Temi puisse commencer.

La présentation des monuments de Temi et Fefi ne se conçoit pas l'un sans l'autre, c'est pourquoi nous recommandons vivement la lecture des pages d'OsirisNet consacrées au
La chapelle de Nyankhnefertoum est - et restera - fermée au public en raison de sa fragilité, tout comme celle de Merefnebef. Je voudrais remercier chaudement le Pr Karol Mysliwiec, d'une part à titre personnel, pour me l'avoir fait visiter, et d'autre part au nom de tous les internautes qui, grâce à son accord, peuvent maintenant découvrir ce monument exceptionnel sur OsirisNet.

Le complexe funéraire

Les couches archéologiques de l'Ancien Empire étaient dissimulées sous une épaisseur de plusieurs mètres de sable, terre, déblais, dans laquelle se trouvaient des dizaines de nouvelles inhumations datant essentiellement de l'époque ptolémaïque, qui se rajoutaient aux centaines précédemment découvertes. L'étude de ces couches superficielles de la nécropole s'est révélée très fructueuse, et a donné lieu à une publication particulière : Saqqara III, Upper Necropolis, 2 vol.
Certaines des inhumations récemment découvertes ont révélé un matériel funéraire intéressant, comme cette jeune fille d'une vingtaine d'années dont la momie était accompagnée par une magnifique boite à canopes en bois peint surmontée d'un faucon coiffé de deux plumes hautes (), ainsi que par une statuette, également en bois polychrome, représentant une image momiforme de Ptah-Sokar-Osiris (). Une autre jeune fille, entre 15 et 18 ans, portait sur sa momie un beau cartonnage en deux parties : un masque doré sur le visage et un grand collier ousekh sur la poitrine ().

Dans les niveaux remontant à l'Ancien Empire, ce sont trois chapelles datant toutes de la fin de la VIe dynastie, qui ont été découvertes, gravitant autour d'une cour commune située au nord de celle de Merefnebef avec laquelle elle est jointive. Des puits funéraires leur sont annexés, mais leurs relations avec les chapelles ne sont pas évidentes, car aucun n'est achevé et tous ont été réutilisés vers la fin de la VIe dynastie et/ou à l'époque gréco-romaine.

Les trois chapelles qui partagent la même cour () sont la N° 15 (celle de Nyankhnefertoum que nous allons détailler), la N°16 (anonyme, mais assez avancée) et la N°17 (anépigraphe, au stade du dégrossissage). Elles présentent une cohérence architecturale et structurelle qui les font considérer comme appartenant au complexe de Nyankhnefertoum, sans que l'on sache si les occupants étaient des membres de sa famille (fils aîné ? femme ?). Manifestement la N°15 a précédé les deux autres.
Les pluies diluviennes qui marquent la fin de la VIe dynastie ont inondé toutes les chapelles, entrainant l'abandon des cultes qui y étaient rendus. C'est également à cette période que le mastaba de surface s'est écroulé et que le puits funéraire 89 a été creusé.

Outre le très important travail de restauration, les archéologues ont protégé les chapelles de Merefnebef et de Nyankhnefertoum, ainsi que la chapelle 16, par des constructions en briques ()

1) - Chapelle 15 - Généralités

Il s'agit de celle de Nyankhnefertoum-Temi, qui va nous occuper.
Le complexe funéraire global se compose de quatre éléments : la chapelle 15 creusée dans la falaise, surmontée d'un mastaba auquel sont annexés deux puits.

Le mastaba en briques crues était édifié sur une couche déjà épaisse de sable, débris, etc. Il ne faut pas confondre ce type de mastaba avec ceux de, par exemple, Kagemni, Mererouka ou Nikaouisesi (tous présentés sur le site) : ceux-ci incorporent dans leur structure les pièces funéraires. Il est presque complètement détruit de nos jours, mais les restes au sol montrent qu'il était calqué sur celui, mitoyen, de Merefnebef pour ce qui concerne l'orientation, la direction et la taille (10,60 × 8,00m, soit 20 × 15 coudées). On ne peut presque rien en dire de plus, sinon que son mur ouest, le plus près de la corniche de la falaise, avait été édifié sur un lit de pierres, ce qui n'était pas le cas chez celui de son voisin ().

Deux puits, l'un funéraire (puits 77), l'autre rituel (puits 52) lui sont annexés. Un squelette se trouvait au fond du premier, mais il ne s'agit pas de celui de Temi ; nous détaillerons ces données page 5.

La chapelle rupestre, située en contrebas, forme la limite est de la cour. Son entrée se trouve à 5,10m de celle de Merefnebef.
À la différence de celle de son voisin, la façade n'est pas décorée en dehors du long bandeau de texte qui surplombe l'entrée. Celle-ci s'ouvre presqu'au milieu de la façade, un peu décalée vers le sud (droite) et donne dans petit couloir, anépigraphe, menant dans une pièce unique.
La salle, qui mesure 6,53 × 2,83 × 1,90m, présente une forme irrégulière : aucun des murs qui se font face n'est vraiment parallèle à son vis-àvis (voir plan ci-dessus), ce qui est particulièrement marqué pour le mur ouest (mur d'entrée) qui à la forme d'une pointe de flêche très aplatie.
Le sol rocheux, qui restait irrégulier après le passage des carriers, fut aplani au moyen d'une couche de boue.
Lors de la découverte, une table d'offrandes se trouvait presqu'au centre de la pièce, où elle avait été déplacée par des pillards depuis le bas d'une fausse porte, sa position d'origine. La partie nord de la salle était également pleine de gravats provenant du contenu d'un puits funéraire voisin (puits 89) appartenant à une inhumation ultérieure : la couche de roche qui les séparait, trop fine, n'a pas résisté et le mur nord de la chapelle s'est effondré. L'accident peut être daté de la fin de la VIe dynastie ou de la Première Période Intermédiaire.

Le complexe funéraire du vizir Merefnebef a exercé sur celui de son voisin Nyankhnefertoum une influence considérable et lui a indiscutablement servi de modèle. Toutefois, les deux monuments comportent aussi des différences significatives qui traduisent l'évolution du contexte social et politique, ainsi que les nouvelles craintes qui ont surgi dans les quelques décennies qui les séparent.
Le travail dans les trois chapelles 15,16 et 17 a certainement débuté vers le milieu du règne de Pepi I, alors que le mastaba de Merefnebef, réalisé dans la première partie de la VIe dynastie, probablement sous Teti, était toujours en fonctionnement.

2) - Chapelle 16

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Elle s'ouvre dans le mur nord de la cour. Sa mise en chantier a dû suivre de peu celle de Nyankhnefertoum. La façade (4,36 × 2,33m) comporte au sommet les restes d'un bandeau constitué par une formule d'offrande. Le nom du propriétaire a disparu avec l'extrémité ouest de l'inscription. L'intérieur de la chapelle, qui mesure 9 × 2,40m, comporte une chambre principale, une annexe, un serdab. Il n'y a aucune inscription ou décor. Il semble que l'occupant du puits 59, qui se trouve dans l'angle nord-ouest de la cour, ait préféré pour son culte funéraire cette chapelle abandonnée car elle était bien plus avancée que la 17 pourtant plus proche ; c'est probablement lui qui a fait creuser à cette fin la niche qui se trouve dans le mur ouest de la salle principale.

3) - Chapelle 17

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Elle date de la même période. Son entrée se trouve immédiatement à gauche de la chapelle 16 (). À proximité, dans l'angle nord-ouest de la cour, s'ouvre un grand puits funéraire, N°59. La façade, inachevée, mesure 4,50 × 2,15m. L'entrée donne sur une pièce rectangulaire irrégulière de 4,40 × 2,41m. Le monument est complètement anépigraphe.

Le défunt et sa famille

1) - Le propriétaire : Nyankhnefertoum

Son nom signifie "la vie appartient à Nefertoum", il est souvent remplacé par sa forme abrégée "Temi".

Les titres mentionnés dans sa chapelle sont :
- Surveillant du repas royal
- Surveillant des nobles places de la Grande Maison
- Surveillant du lin
- Sous-directeur des serviteurs du dieu (prêtres funéraires) de la pyramide d'Ounas ()
- Gardien de la propriété royale
- Serviteur divin de la pyramide d'Ounas
- Serviteur divin de la pyramide de Teti ()
- Majordome de la Grande Maison
- Majordome de la maison du roi
- Préposé aux secrets
- Préposé aux secrets de la Maison du Matin
- Préposé aux secrets des mots du dieu
- Préposé aux secrets du roi en toutes ses places de culte
- Préposé aux secrets de son dieu (= le roi) chaque jour
- Ami unique
- Compagnon de la maison
- Compagnon de la Grande Maison
- Inspecteur de la maison du roi
- Inspecteur de la Grande Maison
- Inspecteur de […]de la Grande Maison

Parmi tous ces titres, ceux en rapport avec les temples funéraires d'Ounas et de Teti sont les plus significatifs, tandis que l'épithète "ami unique", très importante aux époques antérieures, n'est plus, à la VIe dynastie, qu'un titre honorifique servant à désigner la noblesse. Pour mémoire, Per-aa, la Grande Maison, désigne le palais royal ; à partir de la XVIIIe dynastie, il désigne aussi le souverain lui-même (nous en ferons "Pharaon") comme nous disons l'Élysée ou la Maison Blanche.

2) - La famille

Une tombe est plus qu’un lieu d’inhumation, elle est aussi un lieu de mémoire dont la gestion était soumise aux contraintes, souvent contradictoires et parfois opposées, de l’idéologie royale, de la volonté du défunt et des aspirations de sa famille (Carlos Moreno Garcia) .

Nyankhnefertoum semble n'avoir eu qu'une épouse, Seshsheshet, désignée comme "Connue du roi" et "Prêtresse d'Hathor, Dame du sycomore".
Parmi les enfants, le fils aîné, Merouka (écrit sur le bandeau de la façade) joue un rôle important : "prêtre ouab de la Grande Maison" et "inspecteur de la maison du roi", il est représenté sept fois. Sa place particulière est attestée par deux particularités iconographiques (qui sont bien plus importantes en l'occurence que les textes). D'une part, c'est le seul à être représenté sur le modèle de son père (perruque, pagne, …) ; d'autre part c'est également le seul qui a le privilège d'avoir les pieds placés dans ceux de son père.

Les autres fils se nomment :
Djaouy : il est représenté deux fois. Il ne porte qu'un seul titre :"Sous directeur de la Grande Maison"
Tjetji : lui aussi représenté deux fois, avec le titre "Fonctionnaire, surveillant de la Grande Maison"
et trois ou Mereri (s).

Ces trois Mereris posent un problème, notamment les deux puinés qui semblent avoir du lutter pour faire valoir leurs droits (réels ou supposés). L'un au moins semble s'être livré à des usurpations (limitées et maladroites) dans la décoration. Pourtant, tous trois semblent avoir eu de brillantes carrières, avec même un titre de vizir pour l'un d'entre eux, et tous ont une tombe dans les alentours de la pyramide de Djoser. Karol Mysliwiec leur a consacré un article spécial : "The mysterious Mereris", voir bibliographie.
Deux filles désignée chacune par "Sa fille, qu'il aime" sont attestées, Metjout et Khenout, dont nous ne savons rien en dehors de leur titre : "connue du roi".

Principes généraux de la décoration

Le décor des quatre murs de la chapelle de Nyankhnefertoum est similaire à celui de la chapelle de culte principale du vizir Merefnebef, avec toutefois plusieurs singularités, la principale étant que le décor est inachevé. Seule la partie nord a été à la fois gravée et peinte. Le reste des reliefs, parfois encore assez grossiers, n'a pas été peint.
Chacune des faces est occupée par un grand tableau original, sauf celui du mur nord qui se retrouve sur une partie du mur ouest. Chacun a son propre motif de bordure. En dehors de la zone des trois fausses portes sur le mur ouest, il existe un large bandeau anépigraphe (environ 0,65m) entre le bas des tableaux et le sol. La plupart des figures et des hiéroglyphes sont en relief dans le creux, mais pas tous, sans qu'on puisse dégager une logique sous-jacente.

La façade

Comme celle de Merefnebef, qui n'en est distante que de 5,10m (vers la droite sur le plan ci-dessus), la façade se trouve dans une niche ménagée dans la falaise. Elle mesure 5,45m de long et la hauteur moyenne entre le sol et le haut du bandeau inscrit est de 2,35m, plus faible du côté sud de l'entrée (à droite) où sa base se fond dans la masse rocheuse de la cour. La falaise dans laquelle elle est creusée (et sur laquelle était érigé le mastaba) forme une sorte d'auvent débordant le mur de façade de 0,68m.
Les décorateurs ont fait de leur mieux pour tenter de faire ressembler cette façade à celle de son illustre voisin en imitant son agencement tripartite : il est évident que les deux panneaux situés sous le bandeau, de chaque côté de l'entrée, devaient être gravés, puisque le rocher a été aplani et que du mortier a été utilisé pour boucher certaines fissures. Mais le décor n'a jamais été réalisé, peut-être en raison du décès précoce du propriétaire.

Le bandeau est traité comme un pseudo-linteau de 0,50m de haut, les inscriptions courant de droite à gauche ; son décor a beaucoup souffert du lessivage par les eaux de pluie. La composition de l'inscription, tout comme la forme des hiéroglyphes imitent ceux de la façade de Merefnebef : ainsi par exemple à la fin de l'inscription (à gauche), se trouve une représentation du défunt debout, accompagné de sa femme et de leur fils ainé, tous tournés vers le sud (image ci-contre) ; là débute le bandeau de la chapelle 16 (). Nyankhnefertoum porte un collier et un pagne, et tient en main un long bâton, que son fils empoigne d'une main. Seshseshet place un bras autour de l'épaule de son mari.
À remarquer : le hiéroglyphe représentant un traîneau, "tm", destiné à écrire le surnom Temi, a été altéré volontairement, sans nul doute après le décès du propriétaire (). Nous trouverons d'autres cas identiques à l'intérieur du monument et verrons qu'il s'agit d'une volonté délibérée de se moquer du défunt.
Traduction :
"Une offrande que donne le roi et Anubis qui est à la tête du pavillon divin, qui est sur la place de l'embaumement, qui est sur sa colline, le seigneur de la Terre Sacrée (afin) qu'il (le défunt) soit inhumé dans la nécropole du Désert de l'Ouest, après être devenu très vieux […] en tant que pensionné (loué) par le grand dieu. Une offrande que donne Osiris, seigneur de Busiris (afin) qu'il puisse voyager sue les beaux chemins utilisés par les pensionnés qui marchent devant le grand dieu.
Une offrande que donne Osiris, Seigneur de Busiris, (à savoir) une offrande invocatoire pour lui à l'Ouverture de la fête de l'Année, au Festival de Thot, au Début de la Fête du Nouvel An, à la Fête Ouag, à la Fête de Sokar, à la Grande Fête, à la Fête de Min, à la fête du Début du Mois, et à celle de mi-mois […] à (toutes) les fêtes, chaque jour, pour l'éternité, comme (pour) un pensionné devant Anubis, seigneur de l'enterrement dans la Nécropole.
Il est honoré par le roi, celui qui est pensionné par le Grand Dieu, celui qui est aimé des gens, celui qui accomplit la justice qu'aime le dieu. Je suis celui qui parlait bien, qui informait bien, celui qui a fait ce que le dieu aime. Je suis celui qui a fait advenir la paix et qui a vécu dans l'honneur. J'ai honoré mon père et ma mère. Serviteur du dieu de la pyramide d'Ounas, etc… Le compagnon de la Grande Maison, Temi. Son fils ainé, qu'il aime, Meruka (i)."