La tombe de Pennout

La tombe de Pennout date de la XXe dynastie, plus précisément du règne de Ramsès VI (± 1143-1136 av. J.-C.) dont les cartouches ont été retrouvés gravés sur les murs de la chapelle (). Elle se trouve aujourd'hui sur les bords du lac Nasser, sur le site de la nouvelle Amada.
Pennout était "Idenou (délégué) de Ouaouat", "Supérieur des prêtres du temple d'Horus d'Aniba (l'antique Miam) ", où son épouse était chanteuse. La chapelle est composée d'une pièce rectangulaire et d'une niche qui contenait trois statues. Le puits funéraire, qui s'ouvrait au milieu de la pièce, est resté sur place lors du transfert du monument.

Une grande partie du décor de la tombe a disparu de nos jours. La présente description (abrégée) des zones perdues repose sur les planches de Lepsius, réalisées en 1844.

Le sauvetage de la chapelle

1) Situation d'origine

La tombe se trouvait sur le site d'Aniba, creusée dans la face sud d'une colline de grès. On y accédait par une courte rampe qui précédait une cour de 7,5 × 2,5m. La façade comportait une niche, sans doute destinée à une stèle.

La chapelle seule a été sauvegardée ( d'après Porter & Moss). Elle se compose d’une salle taillée dans le rocher, de 5,9 × 2,7m et de 1,9m de haut. L’entrée se situe à peu près au milieu du mur sud, ce qui définit deux ailes, ouest (à gauche, ) et est (à droite, ).

2) Situation actuelle

La construction du Haut Barrage d'Assouan, au début des années 60, s'est accompagnée de la création du lac Nasser qui a submergé la Basse Nubie, le "pays de Ouaouat". Dans le cadre de la grande campagne internationale de sauvetage des monuments de Nubie, la tombe de Pennout a été retenue en raison de son importance historique et de la qualité de ses décors. Elle a donc été découpée puis transportée en 1964 depuis Aniba jusqu'au site de la nouvelle Amada, et remontée près des temples d'Amada et de Derr ()

La tombe a été pillée il y a longtemps, mais les décors de la chapelle étaient presque intacts en 1851-52, comme le montrent les calotypes réalisés par Félix Teynard. Steindorff a encore trouvé des reliefs en bon état en 1906. Mais aujourd'hui, la chapelle est défigurée par la perte de la moitié au moins du décor, notamment la quasi-totalité des registres inférieurs, les jambages de l'entrée dans la niche, une large zone de la partie est du mur sud… Nous devons nous en tenir pour ces zones aux planches de Lepsius.

Contexte historique

Après le glorieux règne de Ramsès III, la XXe dynastie perd peu à peu le contrôle du pays. Les règnes de Ramsès IV et Ramsès V amènent leur lot de scandales, de vols et le développement de la corruption. L'anarchie et l'insécurité liée à des incursions de plus en plus régulières de nomades libyens progressent dans un contexte d'appauvrissement général.
Les choses ne s'arrangent pas sous Ramsès VI. La perte d'influence de l'Égypte en Asie se poursuit : la frontière orientale du pays recule de la Syro-Palestine jusqu'à la limite du Delta.
Par contre, la Nubie, tout au moins la Basse Nubie reste sous contrôle égyptien et on connaît un vice-roi du nom de Siesis (ou Sa-aset).

Pour mémoire, il existe quatre Horus nubiens, dont trois sont en rapport avec des forteresses en activité depuis le Moyen Empire :

l'Horus de Miam. Aniba, en face du Kasr Ibrim, est une importante cité administrative de Basse Nubie, dont le temple d'Horus remonte au Moyen Empire. Le culte de l'Horus de Miam n'est pas limité à sa cité : comme tous les autres Horus; il peut être vénéré dans toute la Nubie.

l'Horus de Baki, en rapport avec la forteresse de Qouban qui contrôle des routes de l'or très importantes pour l'Égypte.

l'Horus de Bouhen, importante forteresse, en face de Ouadi Halfa (2e cataracte)

l'Horus de Meha, c'est-à-dire d'Abou Simbel. Il est très présent dans le petit temple de la reine Nefertari.

Pennout, sa famille et ses ancÊtres

Pennout (pA-n-njwt = "celui de la ville") porte comme titre principal, répété à de multiples reprises, celui de "jdnw n wawat", "Représentant de Ouaouat". Le titre d'idenou reste assez mal compris ; on pourrait le rendre aussi par "Délégué", "Lieutenant" ; Pennout était également "Responsable des carrières" et "Supérieur des prêtres du temple d'Horus d'Aniba".
Pennout est donc responsable des carrières de Ouaouat et en charge de la gestion des biens du temple de l'Horus de Miam.

Son père se nomme Herounefer ; il est "Prêtre de…?"

Son épouse, Takha est "Chanteuse dans le temple d'Horus d'Aniba".

Le père de Takha est cité dans l'entrée, il s'agit de Patjaoumedimontou, "prêtre ouab, dessinateur des contours".

Trois fils sont nommés : Hekanakht "son fils, son aimé, le scribe en chef du Trésor du Vice-roi", Herounefer "son fils, son aimé, le scribe" et un second Herounefer "son fils, son aimé, le prêtre ouab".

Et deux filles : Noubnefer et Sedjemet, toutes deux désignées comme "sa fille, son aimée, la chanteuse dans le temple"

Il y a aussi un petit-fils.

De nombreux autres personnages, souvent anonymes, sont présents, il s'agit pour l'essentiel d'ancêtres de Pennout et peut-être de Takha.
Au total, ce ne sont pas moins de 56 personnes qui sont représentées dans cette pièce.

Aspect gÉnÉral de la chapelle

Voici la description de Burckhardt, datant de 1813 :
"À environ deux miles du fleuve se trouve une colline solitaire constituée de grès, dans laquelle a été réalisée une petite chambre funéraire de sept pas de long, trois pas de large et cinq pieds et demi de haut, avec un puits funéraire en son centre ; il existe une petite pièce annexe au fond de laquelle se trouve un buste entouré de deux sièges vides probablement destinés à des momies. Les parois de la pièce principale sont couvertes de peintures aussi bien préservées que celles des tombes de la Vallée des Rois à Thèbes, bien qu'elles ne soient pas aussi bien réalisées (…)."

Selon Teynard, "Les sculptures sont frustes quoique très gracieuses ; elles se détachent sur un fond blanc, les figures et les chairs sont peintes en brun ; il y a beaucoup de vert dans les fleurs, dans les ornements : l'ensemble de la décoration est très harmonieux de couleur".

La chapelle est orientée magnétiquement nord-sud, son entrée étant dirigée vers le Nil et la ville d'Aniba, et non selon l'axe symbolique est-ouest. Ce cas de figure est fréquent, mais il est habituellement compensé par une distribution des scènes selon l'orientation symbolique, ce qui n'est pas le cas chez Pennout où le décor suit l'orientation magnétique.

Les parois sont divisées en deux registres de 0,60m de haut. Les deux registres sont séparés par une bande de texte qui correspond à des offrandes invocatoires de type "Hetep di nesou".

Le style, avec la succession d'images séparées par des colonnes de texte, ainsi que le débordement de scènes d'un mur sur l'autre, sont typiquement ramessides.
Dans les tombes de la XVIIIe dynastie, le système de représentation est "iconique", avec des sujets canoniquement définis : les funérailles, le repas funéraire, les pèlerinages dans certaines villes saintes, des scènes de chasse et de pêche, etc. Les personnages sont souvent de grande taille, parfois même de taille "héroïque".
Cette thématique est remplacée à l'époque ramesside par des scènes plus variées (mais souvent moins bien réalisées), qui se situent dans le monde funéraire, formant une succession de vignettes généralement empruntées au Livre des Morts (LdM). La volonté de commenter se traduit par un texte abondant, parfois prédominant par rapport à l'image, qui sert alors simplement d'illustration.
Chez Pennout, on trouve la combinaison harmonieuse de vignettes avec des sujets de taille moyenne, de textes et de personnages de grande taille rappelant des temps plus anciens.

L'entrÉe

Seul le côté gauche (ouest) de l'entrée a conservé son décor (). On y voit Pennout et Takha qui, tournés vers l'entrée, bras levés, font une adoration au soleil, un thème ramesside très classique. Du côté opposé devait se trouver un hymne à Atoum ou Osiris.

Mur sud

1) - Mur sud – côté ouest

Comme on le constate la quasi-totalité du registre inférieur, consacré aux funérailles, a disparu, sauf à l'extrême gauche.

Registre supérieur

Dans la première scène (visible à gauche sur la planche) le défunt entre dans la tombe. L'inscription qui l'accompagne, écrite en écriture rétrograde a pour titre "Formule pour sortir au jour en tant que Ba vivant" : on joue ainsi habilement sur l'entrée et la sortie de la tombe.
La seconde scène est la classique pesée du cœur (dite psychostasie), en rapport avec les formules 125 et 30 du Livre des morts (). Le défunt et son épouse passent par une porte ouverte et s'avancent, bras levés, vers la balance (, ). Anubis règle le peson, tandis que "la dévoreuse", ce monstre hybride, attend sa proie, mais en vain comme toujours, puisque les deux plateaux de la balance sont en équilibre. Thot, qui dans ce rôle de maître des scribes a toujours une tête d’ibis, note le résultat favorable (). La scène se poursuit sur le mur ouest avec l'introduction auprès d'Osiris.

Registre inférieur

Un cortège rentre dans la chapelle depuis l'extérieur. Il est formé de trois hommes et six femmes, qui, faisant tous des gestes de deuil, se dirigent vers l'ouest. Là, au pied de la montagne d'Occident, la momie dans son sarcophage est dressée devant l'entrée de la tombe, avec à ses pieds une pleureuse (son épouse probablement) en train de se lamenter. Trois prêtres officient : un prêtre-sem fait une libation, le second officiant tient des fleurs de lotus et une buire, le troisième est un prêtre lecteur qui récite les formules du rituel de l'ouverture de la bouche (des détails sur ce rituel peuvent être trouvés ). Quelques-unes de ces formules figurent dans le texte du dessus, qui comporte par ailleurs les noms et/ou fonctions des participants.

2) - Mur sud – côté est

Cette zone a gravement souffert si on la compare à . La grande inscription centrale est la copie d'un texte juridique. Il comporte les cartouches de Ramsès VI et celui de la reine Nefertari. Par ce texte, Pennout fait donation de terres destinées à l'entretien du culte d'une statue de Ramsès VI qu'il a fait ériger dans un des temples d'Aniba (probablement le temple d'Horus). Les terres se répartissent en cinq parcelles qui sont toutes soigneusement délimitées aux quatre points cardinaux. C'est ainsi que le nom de la reine est mentionné car une des parcelles est mitoyenne d'un domaine lui appartenant. Vient ensuite une formule de damnation - dans laquelle Amon et Khonsou sont mis à contribution - contre ceux qui ne respecteraient pas l'arrangement ainsi exposé.

Sur le registre supérieur, le texte est flanqué d'un côté par la triade thébaine Amon – Mout – Khonsou et de l'autre par Ptah et Thot. Tous sont là comme témoins de la bonne exécution du contrat.
La composition correspond en fait à une stèle, dont elle combine les éléments ; les représentations des dieux, qui figurent d’habitude dans un cintre au sommet, sont reportées par manque de place sur les côtés de l’inscription.

Dans le registre sous-jacent on trouve, sous la triade divine, Pennout et le "supérieur des greniers Penrê"; ce dernier a la charge de s'assurer de la bonne exécution de l'acte.
Sous Ptah et Thot, deux femmes sont visibles, qui appartiennent à une scène située sur le mur est.

Le don de la statue et la prise en charge de son culte témoignent du statut privilégié de Pennout et sont une source de prestige, tout comme l'autorisation de représenter son souverain dans sa tombe.
Et Pennout compte bien continuer à bénéficier de ce statut dans l'au-delà, puisque l'acte juridique de donation, gravé sur les parois, restera visible par tous les visiteurs de la chapelle et par les dieux cités dans la tombe.

Mur ouest

Les deux registres comportent des textes et des vignettes extraits du Livre des Morts.

1) - Registre supérieur

La première scène

Elle continue celle de la pesée du cœur (chapitre 125 du LdM) : Pennout et Takha, justifiés, sont présentés à Osiris par Horus-fils-d'Isis ().
Osiris est assis sur un trône cubique placé dans un naos dont la porte est ouverte. Devant lui se trouve une grande fleur de lotus ouverte, symbole de régénération, d'où émergent les Quatre Fils d'Horus ( ; plus de détails dans consacré à ce sujet), l'ensemble résumant visuellement la transformation du défunt en un Osiris à la momie incorruptible.
Derrière Osiris se tiennent les deux déesses Isis et Nephtys qui le protègent.

La seconde scène

Elle constitue, selon Fitzenreiter, la suite logique (?) du chapitre 125. Il s'agit d'une partie du chapitre 151 du LdM (), montrant la réalisation de la momie par Anubis dans la tente divine, garantie de la préservation corporelle. La momie est veillée par les deux Grandes Pleureuses, Isis et Nephtys.

2) - Registre inférieur

Première scène

Pennout adore des divinités solaires momifiées qui résument trois états de l'astre : Rê-Horakhty, le soleil dans toute sa puissance ; Atoum, le soleil couchant et Khepri, l'astre jeune renaissant. Le défunt, dont le destin est lié à celui de l'astre, peut donc quitter la tombe le jour pour se rendre sur terre et rejoindre sa tombe la nuit pour y subir les mêmes transformations que le soleil nocturne. La représentation s’inscrit bien dans le contexte ambiant de renouveau du culte solaire à l'époque ramesside.

Seconde scène

Elle montre les deux époux qui s'avancent, bras levés, devant le texte du chapitre 110 du Ldm écrit en écriture rétrograde. Celui-ci promet l'approvisionnement en produits des champs, des tables d'offrandes surchargées, ainsi que la liberté de mouvement sur tous les chemins et devant tous les dieux. La vignette la plus à droite accumule et résume plusieurs représentations emblématiques de la vie dans l’au-delà.