Résumé par Valérie Selve de certaines de ses publications sur le sujet

"Depuis la première dynastie, probablement même dès l'époque prédynastique dans le sud, et jusqu'à la conquête arabe, c'est-à-dire tout au long d'une période couvrant plus de quatre millénaires, le nome, survivance probable des archaïques États antérieurs à l'unification du pays sous le sceptre d'un seul roi, a constitué la division administrative par excellence de l'Égypte". Henri Gauthier

Les nomes étaient administrés par des fonctionnaires délégués du pouvoir central, les nomarques, dont le statut, identifié par des titres différents selon les périodes : HqA spAt, "gouverneur de nome", sSm-tA, "guide du pays", imy-r wpwt, "directeur des missions", est attesté dès la fin de la seconde dynastie, sur des fragments de poterie provenant des chambres souterraines du complexe funéraire du roi Djoser. Il est toutefois très probable que son existence remonte, sous forme embryonnaire, au début de l'époque thinite.
A partir de la cinquième dynastie, le statut de nomarque, et les pouvoirs inhérents à cette charge, se renforcent : le titre Hry-tp aA, "grand chef de nome", fait son apparition, et se maintiendra jusqu'à la fin du règne de Sésostris III, au-delà duquel la charge, après avoir connu des succès et des vicissitudes, s'éteindra progressivement, les intéressés étant peu à peu remplacés par des fonctionnaires plus nombreux, au pouvoir plus limité, soumis à l'autorité du vizir et administrant des unités géographiques plus restreintes (la niwt, "ville"), même si les nomes continuent de matérialiser le découpage du territoire.
L'analyse des titres et des épithètes composant les autobiographies des nomarques est liée à l'organisation administrative des nomes et souligne l'évolution de la structure politique et économique du pays, et la nature des rapports entre pouvoir central et pouvoirs locaux.
Une étude diachronique de ces éléments, qui témoignent de l'organisation provinciale et étatique règne après règne, permet d'appréhender l'évolution de l'importance accordée au statut de "grand chef de nome"et aux prérogatives que celui-ci recouvre. Certaines régions sont administrées par des nomarques plus précocement en fonction d'intérêts souvent économiques ou stratégiques.
La multiplicité des fonctions des nomarques, ainsi que l'éloignement de la capitale apportèrent aux nomarques une large autonomie, tant sur le plan civil, que religieux, économique ou politique lors des périodes de fragilité de l'État. La situation varia donc en fonction de la stabilité du pouvoir central et de ses relations avec les différents gouverneurs des localités de Haute-Égypte.

ANCIEN EMPIRE

Cinquième dynastie : les motivations de la décentralisation

Au cours de cette période, le statut de Hry-tp aA, "grand chef de nome", se met en place progressivement. La décentralisation est considérée par le pouvoir central comme nécessaire : la gestion du pays passe donc par l'organisation des provinces, d'où une importance grandissante des charges attribuées aux chefs locaux. Les premiers nomarques sont nommés à la Résidence, parmi les proches du roi, en fonction de leurs compétences, comme l'attestent d'ailleurs nettement les autobiographies de certains d'entre eux.

Sixième dynastie : pouvoir central / pouvoirs locaux, des rapports tendus

Au regard des titulatures de cette période, il apparaît que les règnes de Mérenrê et de Pépy II témoignent d'une très nette volonté d'attribuer aux nomarques de nombreuses fonctions administratives et sacerdotales au sein du temple. Ils ont en effet pour mission de représenter le roi en province devant la divinité dans le temple qui devient une cellule indispensable de l'économie régionale et donc étatique.

La multiplicité de ces rôles témoigne d'un rapport de confiance entre pouvoir central et pouvoirs locaux, car en dirigeant l'administration et l'économie des temples, ainsi qu'en effectuant au nom du roi les différents rites sacrés, les nomarques ont entre leurs mains un pouvoir considérable qui, marqué par d'incessantes luttes intestines, accentuera les faiblesses du pouvoir central au cours de la Première Période Intermédiaire. La complémentarité des charges économiques et cultuelles ajoutées aux fonctions civiles, confère aux nomarques une importance telle que se crée rapidement une situation ambiguë : la montée inexorable d'ambitions individualistes, sans cesse alimentées par des rivalités de proximité, est à l'origine de relations confuses entre l'État et les provinces. La divinisation au Moyen Empire de quelques-uns de ces personnages - Isi d'Edfou et Pépinakht d'Eléphantine - dévoile clairement l'autorité, le prestige et les privilèges de ces puissances "féodales" de l'Ancien Empire.

PREMIERE PÉRIODE INTERMÉDIAIRE ET MOYEN EMPIRE

Ière PI : dégradation des relations pouvoir central / pouvoirs locaux

A la fin de l'Ancien Empire, le pouvoir central, et en particulier Pépy II, a progressivement développé les particularismes régionaux dont les rivalités avaient excité une soif de pouvoir dynamisée par l'hérédité de la charge de nomarque : les droits et les avantages acquis en une période donnée étaient transmis au successeur qui les complétait de nouveaux privilèges. L'État, fragilisé par la situation politique, fut inapte à gérer les débordements des affrontements régionaux qui l'affaiblirent encore davantage.

Moyen Empire : reprise en main de la gestion provinciale par l'État

Le rôle prépondérant des nomarques à cette période - certains d'entre eux cumulent cette charge et celle de vizir -suppose le souhait de l'autorité royale de redynamiser l'ensemble du pays en réorganisant les provinces. Après les heurts rencontrés au cours de la Première Période Intermédiaire, l'État cherche à maîtriser davantage l'ambition de ces chefs féodaux. Les rois de la douzième dynastie concilient les intérêts de l'État à ceux des provinces en offrant aux chefs locaux des attributions tant honorables qu'utiles et sans danger pour l'équilibre national.
Tout au long de ces périodes, les nomarques ont exercé en province un éventail très large de fonctions religieuses, chaque acte rituel étant effectué au nom du roi. Le rôle primordial de ces personnages dans la réalisation des cultes fait de cette classe de fonctionnaires un maillon essentiel de la chaîne que constituent les différents protagonistes œuvrant dans l'enceinte sacrée.

Les fonctions exercées dans l'enceinte divine

1) Les fonctions administratives

Outre ses fonctions civiles : perception de l'impôt, entreprise de grands travaux, organisation d'expéditions… un nomarque exerce un grand nombre de charges dans l'enceinte du temple :

La direction du personnel clérical

Au sein de l'enceinte sacrée, les nomarques interviennent à deux niveaux : l'administration et l'exercice du culte, deux aspects dont la complémentarité repose sur l'approvisionnement des autels destinés au culte régulier de la divinité locale et nécessitant une gestion précise des biens fonciers du temple.
Dès les premiers temps, les nomarques dirigent le personnel clérical du temple local, c'est-à-dire l'ensemble des personnes exerçant une ou plusieurs fonctions dans le temple. Le titre récurrent de cette catégorie est celui de imy-r Hmw-nTr, "directeur des prophètes ", littéralement "directeur des serviteurs du dieu", avec ou sans la précision de l'identité de la divinité honorée. Ce titre se maintiendra tout au long de l'existence de la charge de nomarque. Au cours de la cinquième dynastie, c'est ce titre qui semble résumer l'ensemble des prérogatives effectuées par ces personnages dans le temple. Il est difficile en l'absence de commentaires écrits d'établir avec précision la nature exacte des prérogatives incombant aux nomarques directeurs des prophètes. Il est vraisemblable qu'au-delà d'une structure rigide de base, les rôles attachés au titre variaient d'un temple à l'autre, en fonction de l'importance du sanctuaire et de sa propre organisation interne, ainsi que de la personnalité même de l'administrateur de la province. Ainsi, un sanctuaire dirigé par un gouverneur d'oasis connaissait probablement une organisation différente de celle d'un temple de province.

La direction des locaux sacrés.

Dans les autobiographies des nomarques, le temple est désigné par Hwt, une expression référentielle qui, d'un point de vue sémantique, possède différentes valeurs axiologiques. C'est l'adjonction du nom de la divinité qui confère à Hwt la sacralité propre à tout temple. Le terme pr, qui apparaît dans un certain nombre de titres, est aussi utilisé pour désigner la demeure divine : imy-r pr-Mnw, "directeur de la maison de Min", pour min-anx d'Akhmîm sous le règne de Djedkarê. Ce titre dévoile l'implication du personnage dans l'administration du temple de la divinité. A partir de la dynastie suivante ces exemples se multiplieront.

La gestion des biens divins

Les nomarques gèrent également les biens appartenant au domaine religieux, c'est-à-dire les offrandes alimentaires et les objets liturgiques destinés au culte. Cet aspect, qui deviendra régulier dans les autobiographies des nomarques de la sixième dynastie, est absent des titulatures des premiers Hryw-tp aAw, dont les charges sont surtout liées à la mise en place de l'organisation administrative et économique de la localité s'étendant sous leur juridiction.

2) Les fonctions sacerdotales

Titres construits sur Hry-sStA

Les nomarques sont désignés comme des "Maîtres des secrets" (Hry-sStA) de tel ou tel objet, de telle ou telle partie du temple, de telle ou telle divinité, une série de titres trop souvent qualifiés de "honorifiques". Leur position et leur fréquence au sein des inscriptions indiquent des attributions concrètes, et pas seulement des réminiscences d'anciennes prérogatives qui seraient tombées en désuétude.

Les titres désignant un statut de ritualiste.

La plupart des titres des nomarques désignent des statuts de ritualiste. Certains éléments sont génériques et apparaissent dans l'ensemble des autobiographies de ces personnages ayant officié dans les sanctuaires de Haute-Égypte. D'autres titres sont caractéristiques de certaines régions et correspondent à des particularités cultuelles locales. Le titre iwn knmwt, "pilier de Kenmout", porté par Izi d'Edfou est d'ailleurs révélateur des origines memphites du personnage : originellement relatif à l'habillement du roi, la fonction désignée, exercée en province, concerne vraisemblablement le rite de vêture de la divinité. Min-anx d'Akhmim est Hm-nTr, "prophète", tout en étant "directeur des prophètes", un cumul des tâches qui n'a rien d'illogique car couvrant finalement deux domaines bien distincts : la gestion du personnel et l'adoration de la divinité. Les attributions confiées à un "prophète" peuvent être de nature très variable, mais il est très probable que dans le cas d'un nomarque, il s'agisse du degré d'intervention le plus élevé et le plus noble, c'est-à-dire l'adoration de la divinité en la présence d'un substitut de cette dernière, dans le saint des saints. Dans les cinquième et neuvième nomes, dont le culte est voué au dieu Min, le titre smA Mnw, "stoliste de Min "est bien attesté. DwA-mnw à Akhmîm et Inti à Deshashèh sont sHD wiA, "inspecteur de la barque Ouia" un élément révélateur de la participation des deux personnages dans le transport de la divinité.

Les titres relatifs à la lecture et la recopie des textes sacrés

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D'autres titres associent les nomarques à la conservation et la lecture des textes sacrés : le titre générique Xry-Hbt, "prêtre-lecteur" apparaît régulièrement dans ces titulatures, avec parfois sa forme développée - dans certains cas il s'agit du degré hiérarchique supérieur de la charge - Xry-Hbt Hry-tp, "prêtre-lecteur en chef", chargé de diriger le déroulement des manifestations cultuelles, qu'elles soient journalières et intimes dans le cadre strict du temple, ou qu'elles concernent d'une façon plus large les panégyries ponctuant le calendrier divin.

Les titulatures des premiers nomarques (cinquième dynastie) sont loin de présenter la richesse de l'ensemble des prérogatives que le pouvoir central leur assignera dès la dynastie suivante; pourtant, elles laissent se profiler les futures charges qui porteront les nomarques à l'apogée de leur autorité sous Pépy II.

L'étude diachronique de ces éléments dévoile toute l'importance que revêtaient les attributions religieuses des "grands chefs de nome". Loin de constituer une activité annexe et en marge des motivations premières des nomarques, la gestion des locaux sacrés, sur un plan aussi bien administratif que cultuel, révèle à la fois l'organisation et l'évolution des cultes locaux - dont ces titulatures sont les seuls témoignages concrets dont nous disposions pour ces périodes reculées - et la nature des rapports entre pouvoir central et pouvoirs locaux.

ÉLÉPHANTINE - ASSOUAN

Grâce à sa situation géographique, à l'extrême sud du pays, Eléphantine est le point de passage d'expéditions organisées à des fins stratégiques, économiques et commerciales. Cette situation nécessite rapidement une organisation logistique adaptée, dirigée par un personnel qualifié dans ce domaine et soumis à l'autorité d'un nomarque.
Les premiers "grands chefs de nome" de la région sont xtmw-nTr, "chancelier du dieu", soulignant leur implication dans l'organisation de ce type d'expéditions : l'autobiographie de Hr-xw-f de la sixième dynastie en dit long sur sa participation à ce niveau.
Les titres religieux de ces premiers nomarques sont très peu nombreux, les fonctions religieuses étant dans un premier temps reléguées au second plan et attribuées aux prêtres. Dans la plupart des cas, l'ensemble des attributions religieuses de ces personnages se résume à la fonction de "prêtre-lecteur / en chef". La fonction de "directeur des prophètes", qui sera dans la plupart des localités récurrent dans les titulatures des nomarques de la période n'apparaîtra à Eléphantine qu'à partir de la XIIe dynastie. Les centres d'intérêts des gouverneurs de tA-sti diffèrent fondamentalement de ceux des nomes septentrionaux (Valérie Selve)

La colline de Qubbett el-Hawa, située sur la rive ouest du Nil en face de la pointe nord de l'île d'Éléphantine, a servi de cimetière pour les notables du nome d'Éléphantine depuis la fin de l'Ancien Empire. Dominant le fleuve d'une soixantaine de mètres, elle rappellait à tous la puissance des nomarques et incitait les contemporains à se souvenir de leurs noms.

Une centaine de tombes y sont recensées (2016), parmi lesquelles certaines sont publiées sur Osirisnet, voir .