LE SITE D'ELKAB

Elkab, situé 90 km au sud de Louxor, est le nom actuel de l'antique site de Nekheb (ou Elethya), capitale du troisième nome de Haute Égypte. La ville se trouve sur la rive droite du Nil, en face de la cité tout aussi ancienne de Nekhen (ou Hierakonpolis, actuelle Kom el-Ahmar).
De nombreuses attestations indiquent que le site est occupé depuis la préhistoire avec une industrie épi-paléolithique datant d'environ 7000 ans avant J.C. et un important cimetière datant de l'époque Nagada III (vers 3300 avant J.C.) Il existe également de très nombreux graffiti préhistoriques sur les parois des ouadis environnants. L'occupation du site s'est poursuivie durant l'époque pharaonique ; la ruine de la cité semble dater du VIIIème siècle, avec l'occupation arabe. Les savants de l'expédition d'Égypte avaient encore pu voir des restes significatifs des temples locaux qui ont depuis disparu et ils avaient déjà dressé un . Les chercheurs de sebakh (engrais formé par les restes de briques crues) ont largement fait disparaître tout ce qui était en briques crues, tandis que les pierres des monuments ont été enlevées pour être réutilisées. Ces saccages ont quasiment réduit à rien l'antique cité qui, aujourd'hui, donne une impression de ruine totale.

La ville proprement dite avait la forme d'un carré massif avec une , cette dernière probablement érigée par Nectanébo II à la XXXème dynastie (vers 360-343 avant J.C.) Le cœur de la cité consistait en deux temples massifs. et érigé en grès; le second à Sobek et à Thot. À l'est du mur d'enceinte, se dressent deux petits temples datant pour l'un de Thoutmosis I, pour l'autre d'un des Nectanebo.
Plus loin, à l'entrée du Ouadi Hilal, on trouve une chapelle reposoir d'Amenophis III, un hémi-spéos ptolémaïque (= monument moitié creusé dans la falaise, moitié bâti) et une chapelle du temps de Ramses II.
Il existe également de très nombreuses inscriptions ou stèles gravées sur les rochers le la région (
La nécropole d'Elkab livre des renseignements de première importance sur les débuts de la XVIIIème dynastie. Elle abrite plusieurs tombes comportant des chroniques militaires uniques sur l'expulsion des Hyksos, notamment celle d'Ahmes fils d'Abana et la belle tombe de Pahery.
En effet à la Deuxième Période intermédiaire une famille féodale importante tenait la cité, et semble avoir apporté un soutien sans faille aux princes thébains dans leur lutte contre les Hyksos, à commencer par Ahmosis (premier roi de la XVIIIe dynastie). Ces princes victorieux leur ont rendu la pareille. Il était en effet capital pour ces souverains de conserver cette ville de Nekhen pour établir la légitimité de leur pouvoir.

Elkab est en effet la ville symbole de la royauté du Sud, sa déesse tutélaire Nekhbet étant la pendante de la déesse Ouadjit représentant le Nord.
La déesse Nekhbet (= celle de Nekhen) était figurée par un vautour blanc. Ces rapaces dont l'habitat se trouve en limite du désert étaient facilement différenciables des aigles ou des milans par le dessous blanc de leurs ailes. Nekhbet sera assimilée à la couronne blanche de Haute Égypte.
Au temps où l'Égypte n'était pas encore unifiée, le rituel de couronnement du roi du Sud se faisait certainement dans le temple originel d'Elkab.
À partir de la IIIème dynastie, la capitale de l'Égypte unifiée est (et sera toujours administrativement) Memphis. L'intronisation du nouveau roi faisait obligatoirement appel aux symboles du Nord et du Sud : la couronne blanche, et aussi certains types de natrons purificateurs de la région.

La porte de l'est.

Nous allons maintenant vers l'est, nous tenant au pied des collines qui ne dépassent guère cent mètres d'altitude, sauf une cime qui atteint cent soixante-treize mètres. Nous sommes à peu près au niveau du gros village de Hilâl dont j'ai souligné l'aspect d'oasis, avec ses quelques groupes de palmiers touffus. Si nous allions visiter sa mosquée, bien bâtie et très pittoresque, nous y verrions quelques blocs de pierres arrachées à nos temples. Notre première station est à plus d'un kilomètre de distance. Nous marchons sur un sol tourmenté où, partout, on constate les traces d'un ruissellement intense des eaux. Celles-ci ont creusé de nombreux canyons en miniature, rongeant les roches qui s'effritent et retournent ensuite aisément en poussière. Comme l'Égypte est une terre théoriquement sans pluie, on se laisse aller à rêver aux époques géologiques ù toutes ces vallées, maintenant désertes, marquaient le cours d'innombrables affluents du Nil en train de creuser son lit actuel. Mais ne nous y trompons pas ; des pluies violentes s'abattent de temps à autre sur les hautes montagnes arabiques entre le Nil et la Mer Rouge. Les eaux cherchent alors une issue vers la vallée avec une force irrésistible. Somers Clarke a été témoin, au début de l'année 1901, du phénomène suivant : "Le torrent, dit-il, était de couleur jaune foncé et son fracas sur les pierres si violent que les cris même les plus forts en étaient étouffés. Aux approches du Nil, il suivit sa route habituelle, se tenant un peu au sud du terrain légèrement surélevé sur lequel sont bâtis les grands murs. Il réussit à se creuser, à travers les terres d'alluvion de la rive, un canal d'une profondeur de trois ou quatre mètres et d'au moins vingt mètres de large. Pendant trois jours les eaux s'y précipitèrent avec un tapage assourdissant, avant de commencer à faiblir, mais il fallut au moins vingt-cinq jours pour qu'elles aient enfin cessé de couler." Ces jours derniers nous avons nous-mêmes trouvé de l'eau stagnante dans quelques creux de l'ouadi. Nous approchons d'un endroit où la montagne porte des traces nombreuses d'exploitations de carrière.

Sur une plate-forme à laquelle on accédait par un escalier bien construit, se trouvent les restes d'une chapelle dont l'état de confusion et de désordre ne fait pas honneur au Service des Antiquités. Les Ptolémées, semble-t-il, n'eurent qu'à transformer, en un lieu de culte divin, une ancienne tombe près de laquelle est gravée, dans la roche, une stèle d'un fils de Ramsès II, le prince Setaou. Nous trouvons, d'ailleurs, en ce lieu même, à quelque distance en avant de la montagne, un édicule carré, autrefois précédé d'un portique, et consacré par le même prince au dieu Thot et aux autres divinités d'el Kab. Les indigènes, toujours prompts à des assimilations familières, ont appelé cet édicule El Hammam, c'est-à-dire le bain.

A partir de l'endroit où nous sommes parvenus, la vallée se dédouble. Nous restons au nord d'une série de collines rocheuses qui divisent par le milieu le cirque d'el Kab, et bientôt nous rencontrons successivement deux massifs ayant résisté à toutes les forces d'érosion. Nous sommes arrivés à l'un des repaires préférés des grands vautours blancs.
Ce sont des rapaces magnifiques lorsqu'ils planent, observant le sol pour y découvrir une proie, à la grande terreur des oiseaux qui se tapissent alors contre la terre. Les ailes, de large envergure, ont leur partie centrale d'un blanc qui brille au soleil et, même de loin, on peut ainsi distinguer le vautour des milans et des faucons de grande taille qui sont aussi des "maîtres du ciel". Dans les temples pharaoniques, dans les tombes royales, aux plafonds des salles hypostyles et des couloirs, de grands vautours étendent leurs ailes multicolores, comme de véritables motifs héraldiques. On les voit aussi dans les tableaux en relief des temples, déployant leurs ailes au-dessus des rois qui officient, tenant dans leurs serres des emblèmes de protection.
Le grand vautour de Nekhabit alterne, en ce rôle sublime de divinité gardienne, avec le faucon d'Horus ou le disque solaire flanqué des deux serpents dits uraeus.
Les vautours blancs se rencontrent rarement hors de leur désert; nous en avons vu cependant, sur l'île sablonneuse, attirés par l'une ou l'autre proie, et si par hasard un animal tombe mort en un point quelconque de la vallée, toute la tribu se rassemble pour en dépecer la carcasse. Un jeune chameau, tué par le train, fut ainsi réduit en un squelette éclatant de blancheur en moins de trois jours et les chiens attirés par l'aubaine ont été sévèrement tenus à l'écart de la curée. Les vautours hantent, de temps immémorial, ces grands massifs rocheux de la vallée.

Déjà les habitants préhistoriques venaient y graver les silhouettes des animaux qu'ils chassaient et même parfois l'image d'un grand bateau. Ces dessins rudimentaires, taillés à la pointe d'un silex, ont eu le temps de se recouvrir d'une patine sombre, bien avant les dynasties de l'Ancien Empire dont les contemporains, qui pratiquaient toujours le culte de la déesse-vautour, venaient inscrire ici leurs noms et leurs titres. Ces très vieux graffiti, aussi anciens que les pyramides, ont gardé, à côté des préhistoriques, un caractère de fraîcheur surprenante.
Trente ou quarante siècles d'histoire pharaonique se déroulèrent et des pèlerins de l'époque romaine vinrent encore graver des images divines suivies de leur nom, en témoignage de leur vénération aux vautours sacrés. A la partie supérieure des massifs, de longues traînées blanchâtres montrent que les grands rapaces sont toujours fidèles à leur gîte de prédilection.

La dernière colline dépassée, on ne tarde pas à apercevoir une petite construction rectangulaire qui occupe le centre de la vallée. Ce n'est plus que le noyau d'une chapelle périptère, autrefois précédée d'un portique dont seules les fondations se reconnaissent au ras du sol. Aménophis III, le souverain puissant de la XVIIIème dynastie, le Memnon de la légende, dont les colosses proclament le titre de Roi des Rois, a bâti ce reposoir à un endroit particulièrement sacré où les prêtres transportaient l'arche sainte de la déesse lors des processions solennelles. Les bas-reliefs ont gardé une bonne partie de leur peinture originale et donnent une idée de ce que pouvaient être la beauté et la splendeur du temple de Louqsor, élevé lui aussi par Aménophis III.
Avant de quitter ce sanctuaire coloré, jetons un coup d'œil sur les graffiti de la façade; ils sont d'époques diverses. Le prince Setaou, fils de Ramsès II s'y retrouve; un voyageur moderne, ayant des connaissances en hiéroglyphes, s'est amusé à dater un protocole de Napoléon III. De telles fantaisies ne nuisent guère à l'édifice; mais que penser de ces voyageurs, du début du XIXème siècle, qui ont gravé leur nom en grandes lettres à travers les reliefs de l'intérieur, y ajoutant des plaisanteries de mauvais goût ?

Faisons encore quelques pas dans la direction d'une route qui se perd vers l'est et qui est surtout fréquentée par les camions automobiles des exploitations dans la montagne. Pendant les années de guerre) cette route a fait l'objet de grands travaux et elle est devenue une voie stratégique reliant Louqsor à Kosseir sur la Mer Rouge et la première cataracte plus au sud.

Nous suivons cette route dans la direction d'Assouan pour revenir vers le Nil, en empruntant le diverticule sud de la double vallée. A deux kilomètres environ du temple d'Aménophis III, nous retrouvons le rocher du Borg el Hamâm, dont une partie s'est effondrée à une époque relativement récente, et à la base duquel se devinent quelques gravures préhistoriques.
La route s'infléchit vers le sud pour emprunter une autre vallée que domine une hauteur de deux cent vingt-huit mètres, en forme de pyramide naturelle.

Nous quittons le domaine propre de Nekhabit par un chemin fréquenté au moins dès la IVème dynastie et qui conduisait à la région des mines d'or. M. Green a retrouvé, sur une terrasse commandant ce passage, un abri de garde à côté duquel le nom de Khéops est gravé dans le roc. La montagne a été grattée et travaillée un peu partout, même assez haut sur les pentes. Depuis qu'on a signalé dans la région de nombreux dépôts superficiels de phosphate, les gens viennent avec leurs chameaux en prendre de pleins chargements qu'ils déversent sur les champs ou embarquent sur des chalands. L'intensité de ce trafic est marquée par les nombreuses pistes qui s'entrecroisent sur le sol où s'impriment les foulées des animaux et les pieds nus des conducteurs.

Bientôt nous débouchons dans une vaste plaine au milieu de laquelle s'élèvent encore des collines indépendantes et qui ne se ferme qu'à plusieurs kilomètres vers l'est. Une telle région pourrait être aisément livrée à la culture par des travaux d'irrigation analogues à ceux qui, depuis moins d'un demi-siècle, ont fait des déserts de Kom Ombo toute une province verdoyante.