La tombe d'Ankhtifi à Mo'alla

Elle appartient au gouverneur provincial (nomarque) et chef militaire Ankhtifi qui a exercé le pouvoir dans le sud de la Haute Égypte sous la IXe dynastie hérakléopolitaine (autour de 2100 av. J.-C).

La tombe a été découverte par hasard par des carriers en 1928. Elle a beaucoup souffert, mais la grande autobiographie gravée sur les piliers est assez bien conservée et éclaire partiellement certains des événements politiques compliqués survenus lors de l’obscure Première Période Intermédiaire. Elle apporte aussi de précieuses indications sur le statut et le pouvoir d’un nomarque à cette époque. Les scènes peintes, souvent mutilées, présentent quelques caractères originaux. Si elles témoignent d'une connaissance du programme iconographique des tombes de l'Ancien Empire à Guiza et Saqqara, leur style est provincial, avec des maladresses fréquentes et des aspects caricaturaux.

La description ci-dessous est basée principalement sur l'ouvrage de Jacques Vandier : "Mo’alla. La tombe d’Ankhtifi et la tombe de Sébekhotep", IFAO, Bibliothèque d'étude, Tome XVIII, 1950.

Localisation gÉographique

Sur la rive est du Nil, à 44 km au sud de Louxor se trouve le modeste village de Mo'alla. C’est ici qu’a été découverte une nécropole comportant plusieurs sépultures appartenant à des gouverneurs provinciaux et des fonctionnaires de l’Ancien Empire et de la Première Période Intermédiaire. Seules deux tombes sont décorées, celle d’Ankhtifi (de loin la plus importante) et celle de Sobekhotep, peut-être un de ses fils. Ce village de Mo’alla a été identifié comme étant l’antique Héfat, ville importante où était vénéré un divinité locale, Hémen.

Contexte historique

La chute de l'Ancien Empire et la première période intermédiaire

À la fin de la VIe dynastie, l’Ancien Empire vacille et on assiste à une décomposition progressive de l’unité égyptienne au profit des grands responsables administratifs locaux, les nomarques. Les causes avancées pour expliquer cette chute restent encore hypothétiques. De fait, les nomarques, dont la fonction devient héréditaire, agissent en potentats dans leurs nomes et ignorent le faible souverain du moment ; ils sont les véritables maîtres du pays et cumulent les titres civils et sacerdotaux. L'Égypte se morcelle alors en plusieurs zones d'influence selon un modèle féodal, chaque dynastie provinciale essayant d'étendre son pouvoir au détriment du pouvoir royal et des provinces voisines.
Une autre raison de la disparition de l'Ancien Empire pourrait être un changement climatique, avec une diminution des crues du Nil. La baisse des rendements agricoles aurait entraîné une période de famine endémique, génératrice de troubles sociaux. Il est possible que ce soit le cumul de ces facteurs et leur interaction qui explique la chute de l’Ancien Empire et l’avènement d’une période obscure et complexe, nommée conventionnellement Première Période Intermédiaire, période troublée qui dure plus d’un siècle et demi, jusqu’à la reprise en main et la réunification du pays par une dynastie thébaine.

Les Nomarques de Haute-Égypte et Ankhtifi

Le nome constitue l’unité administrative de base dans l’Égypte antique. Après la chute de la VIIIe dynastie memphite et l'émergence des rois hérakléopolitains, plusieurs nomarques de Haute-Égypte gouvernent en quasi-indépendance leurs nomes. Le mieux connu d'entre eux est Ankhtifi.

Ankhtifi est nomarque du nome d'Hierakonpolis (l'ancienne Nekhen), troisième nome de Haute Égypte, appelé aussi "Le Rural", ou "de la Forteresse", ou "les Deux Plumes". À partir de cette base, Ankhtifi étend son influence vers le sud, d’abord sur le deuxième nome de Haute Égypte, "Le trône d’Horus" (Edfou), dont il devient aussi nomarque, puis sur le premier nome, celui d'Éléphantine. Son autorité s'étend alors sur tout le sud de l'Égypte, depuis la frontière nubienne au sud jusqu'au nome thébain au nord.
On peut considérer la décision d'Ankhtifi de délaisser Nekhen, l'antique capitale de son nome, au profit de Héfat (Mo'alla) comme une tentative délibérée de marquer le début d'une ère nouvelle et d'inaugurer une nouvelle tradition (Morenz).
Les événements décrits dans la tombe dateraient de la IXe dynastie hérakléopolitaine qui règne alors au sud du Fayoum avec pour siège Hérakléopolis Magna, capitale du vingtième nome de Haute-Égypte et probablement de son troisième roi, Neferkare VII (environ 2100 av. J.-C.).

Le loyaliste Ankhtifi a pris le parti des souverains d'Hérakléopolis dans leur lutte contre le nome thébain. Neferkare aurait mené une campagne contre les Thébains avec l'aide d’Ankhtifi, allié au prince d’Éléphantine. Le nomarque aurait aussi entrepris plusieurs expéditions militaires contre une coalition formée par les nomes de Thèbes et de Coptos, quatrième et cinquième nomes de Haute Égypte.
Dans son autobiographie, Ankhtifi ne fait aucune référence à l’exécution d’un ordre royal et semble donc mener ses actions militaires de sa propre initiative.

Ankhtifi : le personnage et sa famille

L’usage du nom "Ankhtifi", "celui qui vivra" est avéré à l'Ancien et au Moyen Empire (Hermann Ranke, Die ägyptischen Personennamen, tomes 1 & 2,1935 & 1952). Dans les inscriptions de la tombe, le nom d'Ankhtifi est souvent suivi d'une épithète, soit "Nakht" (= le Brave), soit plus exceptionnellement, "Iqer" (= l'Excellent), mais ces épithètes ne doivent pas être considérées comme faisant partie du nom.
Ankhtifi n'est connu que par sa sépulture, on ne le trouve mentionné nulle part ailleurs.
Les titres portés par Ankhtifi sont très élevés dans la hiérarchie ; on trouve tout d’abord celui de "grand chef du nome de…", indiquant sa dignité de nomarque, auquel est adjoint "le comte" et le titre sacerdotal de "chef des prophètes", trois titres indispensables à cette époque pour confirmer son statut. Il porte également les titres de "prince héréditaire", "chancelier du roi de Basse-Égypte", "général", "chef des régions montagneuses", "chef des interprètes", et "compagnon unique".

Dans la tombe il n’y a aucune référence claire à ses parents. La mère d’Ankhtifi est peut-être morte en lui donnant naissance, comme peut le laisser penser l’inscription n°14 de son autobiographie. On ne connaît pas son père, qui ne serait pas le dénommé Hotep de l'inscription N°5 comme le croyait Vandier.

Non évoqués dans l’autobiographie, sa femme, désignée comme "Son épouse aimée Nébi" et ses enfants sont cependant dépeints dans diverses scènes pariétales.

Il semble possible d’identifier quatre fils.
Ideni (ou Idy) est désigné comme "son fils aimé, le Premier du nome du Rural dans son intégralité". Le troisième fils d’Ankhtifi, Sobekhotep porte le titre de "Premier du nome du Rural". Il devait cependant avoir un statut inférieur à Ideni car il n’est pas précisé nome "dans son intégralité". Le fils aîné est probablement le personnage qui porte un aviron sur son épaule lors du rituel de la navigation de Hémen ; l'homme touchant le bâton d'Ankhtifi est un autre fils ().
Ces considérations iconographiques se recoupent avec les éléments archéologiques ; sur le même niveau que le tombeau du nomarque nous trouvons plus au nord quatre autres tombes qui seraient celles de ses fils (il n'y a cependant pas consensus sur ce point) (). Ces sépultures, bien visibles par tous depuis la vallée () donnent un statut à la famille tout entière. On peut penser qu’Ankhtifi avait la volonté d'établir une véritable dynastie, tentative vaine puisqu'on ne lui connaît aucun successeur qui soit, comme lui, quasiment indépendant.

Ses deux filles sont représentées sans être nommées dans la scène de pêche au harpon. Dans la scène du repas funéraire, le nom, aujourd'hui en lacune, d’une d'entre elles est "sa fille aimée Âbka (ou) ou Âbih (ou) ". L’autre fille s'appelle Nébi, comme sa mère.

La tombe

La tombe d'Ankhtifi a été creusée à mi-pente d'un piton rocheux qui aurait été choisi en raison de sa forme pyramidale, malgré la mauvaise qualité de la roche (), donnant au nomarque un statut semi-royal et une place prééminente dans la nécropole.
Du monument funéraire d'Ankhtifi, il ne subsiste qu’une vaste et unique salle rectangulaire qui devait autrefois être précédée d’une cour, peut-être aussi d’une antichambre et d’un couloir (état actuel : , , ). Une partie du couloir subsiste sur 1,50mètre et fait fonction aujourd’hui de porte d’entrée ce qui n’était pas sa destination d'origine.

Le plan de la salle est irrégulier : ses murs ne sont ni égaux ni parallèles, et les trente piliers qui ont été réservés dans la masse rocheuse sont répartis, sans ordre défini, sur trois rangées. Certains de ces piliers sont arasés ou même manquants par suite de l’éboulement du plafond rocheux (remplacé par un plafond de bois) et ont été restaurés en béton.
Dans l'axe de l'entrée se trouve le puits () qui conduit au caveau, chambre rectangulaire qui s'étend, vers l'est, au-delà de la paroi est de la tombe ().
Les murs sont recouverts d’un enduit de mouna (mélange de paille et de limon du Nil), puis d'un badigeon blanc. Cette salle devait être entièrement décorée. Les scènes peintes sur les parois et sur les piliers sont aujourd'hui en partie dégradées ou perdues. En revanche, l'inscription biographique, gravée dans la roche, a mieux résisté.

Nous décrirons d’abord les scènes peintes sur les parois puis celles gravées et peintes sur les piliers en suivant leur positionnement dans la tombe.