L'hypogée thébaine portant le numéro 60 (TT60) est un des seuls complexes funéraires connus pour une femme du Moyen Empire, et la plus ancienne tombe thébaine décorée de cette période qui nous soit parvenue dans un état correct.
Elle a servi de dernière demeure à une femme, Senet, mais accorde une grande place à un très haut fonctionnaire du nom d'Antefoqer (ou Antefoker, Antefiker, Intefiqer, Intefiker), un vizir connu par divers documents qui a servi le roi Amenemhat I puis son fils Sésostris I au début de la XIIe dynastie (environ 1958-1913 av. J.- C.).
Mais le lien de parenté entre les deux personnages n'a jamais pu être clairement défini : Senet était le nom de la mère d'Antefoqer, mais ce nom fréquent peut très bien avoir aussi été porté par une de ses épouses.
Ainsi, lorsqu'on parle de TT 60 comme de "la tombe d'Antefoqer", on fait une erreur. Toutefois, même si le monument n'est pas le sien, il nous aide à mieux connaître ce très puissant personnage, historiquement important, dont on a tout lieu de penser qu'il est à l'origine de l'honneur insigne fait à Senet, et qu'il a voulu le faire savoir.

L'époque

La XIIe dynastie débute par la prise de pouvoir d'un vizir, Amenemhat, à la suite du dernier roi Montouhotep de la XIe dynastie.
Amenemhat I poursuit, en l'étendant à tout le pays, le processus de reprise en main et de restauration de l'autorité centrale après les années troublées de la Première Période Intermédiaire. À la fin du règne, Antefoqer est déjà vizir. Amenemhat I lui a confié la mission de conquérir la Basse Nubie - le pays de Ouaouat - en l'an 29. Le règne se termine tragiquement puisque le roi, âgé, meurt assassiné par des personnes de son entourage immédiat le 7e jour du 3e mois de la saison Akhet, l'an 30. Le vieux roi a fait une erreur politique en envoyant en même temps loin de la Résidence ses deux soutiens les plus fidèles, son fils et son vizir, donnant ainsi aux comploteurs l'occasion d'agir. Dans la hâte, son fils Sésostris, qui guerroyait dans les déserts de l'ouest, parvient à regagner à temps la résidence royale à Licht (à l'entrée de l'oasis du Fayoum) pour déjouer le complot qui devait le priver du trône. Ces épisodes sont à l'origine de deux œuvres littéraires célèbres de l'Égypte ancienne : l'Enseignement d'Amenemhat et le .

Le règne de Sésostris I, qui dure 45 ans, est un des plus longs de l'histoire égyptienne. Roi énergique et autoritaire, voire cruel, Sésostris continue l'œuvre de réunification du pays. Il prend également à cœur de poursuivre la reconquête de toute la Basse Nubie, commencée par son père, et d'y pérenniser la présence égyptienne par l'édification de forteresses dont la plus imposante reste celle de Bouhen qui a disparu sous les eaux du lac Nasser.

La réorganisation de l'administration s'inscrit dans le cadre de cette remise en ordre du pays

.

Les hauts fonctionnaires sont maintenant des dignitaires de la cour. Par rapport à l'Ancien Empire, le nombre de titres s'est réduit, ceux de fonctions autrefois importantes, comme coiffeur ou manucure du roi, disparaissent complètement. Au Moyen Empire, ce sont les titres de rang qui priment sur ceux de fonction, créant ainsi un corps stable de très hauts personnages qu'on pourrait assimiler à des ministres. Ils ne sont attribués qu'à un cénacle restreint de gens qui se trouvent dans la proximité immédiate du monarque.
Les quatre titres principaux témoignant de ces hautes positions sont donnés toujours dans cet ordre, et toujours au début des documents, tandis que les titres de fonction se trouvent avant le nom du personnage : iry-pAt : noble, qui appartient à l'élite ; HAty-a : le prince, le premier en action ; xtmty-bity : chancelier royal ; smr-ouaty : ami unique.
À de rares exceptions près, ces titres sont spécifiques de l'administration royale, et sont absents chez les fonctionnaires provinciaux.
Le vizir peut aussi porter différents titres honorifiques spécifiques : fonctionnaire-sab, directeur de la ville, directeur des Six Grandes Cours, Celui-du-Rideau.
Pendant tout le Moyen Empire, le vizir, le trésorier et l'intendant en chef (administrateur des biens à la cour) sont les trois piliers de l'administration centrale. Le vizir est, à l'époque, le plus haut personnage du pays après le roi. Outre l'administration, il a également un rôle de ministre de la Justice, auquel sont soumises en dernière instance les affaires les plus graves. Il peut aussi se voir attribuer des missions, comme ce sera le cas d'Antefoqer : expéditions guerrières ou aux mines, expéditions commerciales, travaux particuliers…
Y avait-il un ou deux vizirs en charge au même moment ? La question reste débattue, tout comme celle d'une corégence (Grajetzki) ou non (Obsomer) entre Amenemhat et Sésostris. C'est ainsi qu'Antefoqer pourrait avoir exercé sa charge en même temps qu'un Montouhotep.

Les personnages

La tombe est destinée à une femme, dame Senet, fait unique car on ne connaît aucune autre tombe thébaine décorée appartenant à une femme à cette époque. Les femmes sont présentes en tant que mère, épouse, sœur, mais jamais elles n'ont la préséance dans la décoration, et encore moins leur propre monument.
En principe nous devrions donc parler de Senet, mais, qu'elle soit la mère ou la femme, ou que les deux soient présentes, on ne sait rien d'elle (s), pas plus que sur Satsasobek, seule épouse clairement identifiée.

Le nom du vizir Intef-iker, qui signifie "Antef est excellent", suggère qu'il est né durant la XIe dynastie, car plusieurs souverains de l'époque portent le nom d'Antef. Dans la tombe TT60, il se présente comme un filleul du roi et a sans doute été élevé à la cour thébaine, peut être aux côtés du futur Amenemhat I.
Antefoqer exerce la charge de vizir dans les dernières années du règne d'Amenemhat I et la première partie de celui de Sésostris I, probablement entre l'an 10 du premier et l'an 23 ou 24 du second. Selon qu'on accepte ou non l'idée d'une corégence, le vizir aurait ainsi été en place une trentaine ou une quarantaine d'années. Ce laps de temps considérable est significatif du prestige et de l'influence du personnage, et a pu finir par inquiéter en haut lieu. Après tout, Amenemhat I avait commencé sa carrière comme vizir…
Antefoqer est un des personnages du Moyen Empire dont on trouve le plus de traces, ce qui ne signifie pas qu'elles sont très nombreuses. C'est ainsi qu'on le voit préparer une expédition vers le pays de Pount, qu'on signale sa présence dans des mines du désert de l'est, et qu'il semble avoir joué un rôle considérable dans la reconquête de la Basse Nubie, non sans faire preuve de cruauté. Tous les témoignages de cette activité sont regroupés dans la .
Un doute subsiste quand à la présence d'un autre personnage masculin dans TT60 (notamment aux côtés de Senet dans la niche) qui aurait été complètement effacé, possibilité qui rend l'attribution du monument encore plus difficile.

Situation et aspect général de la tombe TT 60

Elle se trouve à Louxor, sur la rive ouest du Nil, sur la pente de la colline de Cheikh abd el-Gournah. Située près du sommet (à cette époque, l'espace ne manque pas encore). Plus tard, elle sera entourée de tombes du Nouvel Empire dont certaines (sinon toutes) sont des usurpations de monuments datant du Moyen Empire (voir ainsi que et ).
[Note : comme le montre la photo de gauche, la tombe 60 est situé juste au dessus de celle de que nous avons donc décidé présenter également en quelques images. Mais continuez d'abord votre lecture de la TT60…]

La tombe était connue depuis la fin du XIXe siècle, mais négligée. Il faut attendre 1907 pour que son entrée soit barrée par une porte métallique. Entre 1907 et 1909, Weigall et Gardiner commencent à préparer la publication. En 1914, Davies reprend le travail de Weigall, jusqu'à l'édition princeps en 1920, qui sert de base de référence à notre présentation, mais qui a beaucoup vieilli.

Le plan couloir-chapelle-puits est représentatif de l'époque (). Le long couloir - censé imiter les chaussées montantes conduisant aux temples de pyramide - est creusé perpendiculairement à la colline jusqu'à une chapelle, équivalent du temple haut. De là commence le puits qui mène à la chambre funéraire souterraine.
Pour Lise Manniche, cette forme fait le lien entre les tombes thébaines de l'Ancien et du Nouvel Empire. Friederike Kampp propose une vision claire de cette évolution, avec l'élargissement transversal de la chapelle, le déplacement du puits funéraire (qui se dédouble), et l'apparition d'un hall transversal, pour donner la forme caractéristique en vigueur à la XVIIIe dynastie.
L'hypogée est presque orientée selon les points cardinaux, avec toutefois une petite déviation vers l'ouest.
Les thèmes du décor ont également fait école : ainsi, il sera courant pendant la XVIIIe dynastie, de trouver la procession funéraire et le voyage en Abydos sur le mur gauche, et les scènes de pêche et de chasse sur le mur droit. La vie des champs est aussi évoquée, notamment les différentes étapes de l'agriculture. La célébrité de la tombe est attestée par les nombreux graffiti datant de la XVIIIe dynastie, nous y reviendrons.

La cour est taillée dans la falaise, ce qui a dû représenter un gros travail car la paroi a une hauteur et un fruit considérable. À droite et à gauche de l’entrée, la façade a été lissée au burin, certaines parties crépies, et des remplissages réalisés au niveau de quelques cavités d’éboulement ; il n'y a pas eu d’ajouts de pierres ou de briques (). Plusieurs qualités de calcaire coexistent : la partie travaillée de la façade se trouve dans une zone feuilletée comme du schiste.
De la disposition originelle des lieux, il ne reste rien. Les dimensions de la cour ne sont pas précisées, mais on peut s'en faire une idée grâce aux photos. Elle est encore encombrée par une grande quantité de gravats. En se retournant, on a une vue splendide sur la plaine en contrebas ().

L'entrée était fermée par une porte en bois dont on a retrouvé les traces. Les restes de deux jambages en calcaire finement gravés ont été déposés légèrement en retrait dans le couloir (). Sur celui du nord, on distingue deux personnages : le premier est un homme, peut être Antefoqer, le second a été volontairement effacé. Sur le jambage sud se trouve une représentation de Senet assise surmontée du texte : [Offrande que donne le roi et Osiris] seigneur d'Abydos, et une offrande que donne Anubis qui est sur sa montagne […] des milliers d'offrandes, des milliers de toutes bonnes choses pures pour le Ka de la prêtresse d'Hathor, dame de Denderah, Senet, la pensionnée, née de Doui" (). Ce titre de "prêtresse d'Hathor", important au début du Moyen Empire, tombera plus ou moins en désuétude au cours de la XIIe dynastie.

Une fois passée la porte, on entre dans un couloir long de 12m, mais large seulement de 1,20m et de 2,35m de haut. Comme dans un temple, le plafond s'abaisse très progressivement vers le fond. À travers un court passage de 1m, on pénètre dans une chapelle presque carrée (3 x 2,75m), légèrement en contrebas.
Dans son mur ouest s'ouvre une niche de 1,50m de profondeur, divisée en deux parties d'égale longueur et de 0,85 puis 0,60m de largeur respectivement, qui se terminait par une grande stèle en calcaire dont il ne reste pratiquement rien ().
Dans la niche se trouvait une statue assise de Senet (déplacée maintenant dans la pièce), isolée par une mince paroi de briques crues transformant l'espace en serdab ; le décor montre que cet aménagement avait été prévu dès le départ.
La statue en calcaire peint a été retrouvée dans un très mauvais état, complètement éclatée. Les spécialistes ont néanmoins réussi à lui redonner une forme tout à fait convaincante et à lire les formules d'offrandes à l'usage de Senet.

L'orifice du puits funéraire mesure presque 2m de long, sans doute parce que le sarcophage était de grande taille. L'ouverture se trouve à cheval entre la chapelle et la niche dans laquelle reposait la statue. Davies propose une ingénieuse explication : si quelqu'un avait essayé de vider le puits, la lourde statue aurait basculé progressivement vers l'avant, aurait effondré la mince cloison en brique et serait descendue, face vers le sol, boucher l'entrée. On espérait terrifier ainsi les pillards au point de les faire renoncer à leur funeste projet.
Au fond du puits s'ouvre un passage en pente qui aboutit à une petite chambre sépulcrale décentrée vers le nord. Seuls quelques débris de matériel funéraire ont été exhumés, avec des indices en faveur de plusieurs inhumations différentes.

Les murs sont recouverts d'un épais enduit de plâtre mélangé à de la paille hachée, leur donnant un aspect jaune chamois.
La qualité de la décoration est globalement moyenne : la nature du support ne permet que des représentations d'une certaine taille, dont le style et les proportions sont souvent maladroits, et les mouvements figés. Ces représentations sont de qualité inférieure à celles que l'on trouve dans les tombes des nomarques de Beni Hassan, en Moyenne Égypte, qui datent, elles aussi, du Moyen Empire.

Le plafond a été seulement dégrossi ; il est peint en rose pour imiter le granit et la couleur suit ses nombreuses irrégularités. Le contraste est frappant avec les murs qui sont bien rectilignes et lisses.

Un incendie volontaire a été allumé dans la chapelle pour un motif inconnu, après l'époque amarnienne (car le nom d'Amon a été restauré), et probablement après les graffiti, vers le milieu de la XVIIIe dynastie. Il a été exécuté au moyen d'un combustible léger et hautement inflammable (comme du mobilier funéraire très sec et de la paille) qui a dégagé une chaleur intense (qui a fait éclater la statue de Senet), mais n'a pas noirci les murs (sauf en bas). La paille dans le revêtement mural a évidemment subi la combustion, rendant les parois extrêmement fragiles ; les couleurs ont été altérées dans la chapelle et la partie terminale de la galerie : les jaunes sont devenus des rouges clairs, tous les verts ont foncé, les variantes de bleu ont toutes le même aspect, et le noir a presque totalement disparu.