Registre 2 : la Crète, les Keftiou

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Les Keftiou, habitants de la Crète et peut-être de quelques îles aux alentours qui partagent la même culture minoeenne, sont représentés dans quelques tombes thébaines dont les propriétaires vivaient durant les règnes d'Hatchepsout, Thoutmosis III et Amenhotep II, soit pendant une cinquantaine d'années. Après cette période, la Crète est intégrée dans l'ensemble mycénien ; les Keftiou n'apparaissent plus et il n'y a plus trace d'activité commerciale entre la Crète et l'Égypte, tandis qu'elle continue avec le monde égéen continental.
Dans la tombe de Rekhmirê existe un indice permettant de dater la transition qui a lieu à son époque en Crète, les Mycéniens remplaçant par la conquête les Minoéens entre 1436 et 1426 avant J.-C. (Sylvie Hodel)  : les porteurs étaient initialement représentés vêtus du pagne minoéen à ceinture, mais les peintres ont dû, après avoir vu les nouveaux arrivants, remplacer celui-ci par le pagne mycénien (la valeur du pagne comme critère chronologique n'est cependant pas admise par tous les spécialistes).

Les Keftiou sont représentés, de manière inattendue, avec une peau rouge sombre, une couleur qu'on retrouve cependant dans la peinture crétoise. Ils ont des cheveux longs avec des boucles sur le sommet du crâne. Ils sont chaussés de sandales à lanières, associées à des guêtres colorées (). Ils apportent les produits de leur artisanat, essentiellement des vases d'or (, ,  ) et d'argent (, ), décorés ou en forme d'animaux (lion, taureau, ibex)  : cruches, coupes à boire, amphores, rhytons (). Ils apportent aussi des produits qu'ils ont obtenus par des échanges commerciaux : anneaux et blocs d'argent, dagues, chaînes (), lapis-lazuli. Ces richesses vont s'accumuler au pied des scribes ().
Texte d'accompagnement : "Venir en paix par les grands de Crète, des îles qui sont au milieu de la mer, en se courbant, en inclinant la tête, du fait de la puissance de Sa Majesté, le Roi de Basse Égypte Menkheperrê, doué de vie éternellement, en prenant connaissance de sa force sur toutes les contrées étrangères, leurs tributs étant sur leurs dos, afin d'obtenir que leur soit donné le souffle de vie, par désir d'être fidèle (littéralement : d'être sur l'eau de) à Sa Majesté, pour faire en sorte que sa puissance les protège. C'est le confident du souverain, maire de la Ville, Vizir, Rekhmirê, qui reçoit tous les tributs de toutes les contrées étrangères, qui sont rapportés du fait de la puissance de Sa Majesté."

Registre 3 : les pays du sud, Nubie et Soudan

En ce début de XVIIIe dynastie, l'Égypte a rapidement repris en mains ces régions après la parenthèse Hyksos. Il s'agit de nouveau de terres vassales, dirigées par des Égyptiens, dont les apports sont des impôts. Les porteurs sont bien sûr noirs, ont des cheveux crépus et sont vêtus de petits pagnes en peau. Un examen attentif montre que six d'entre eux arborrent autour du cou une à trois mouches (). Comme l'a montré A. Marshall, la mouche nubienne différe de la mouche égyptienne - qu'elle a peut-être précédée - par sa composition (pas forcément en or), par la très longue taille des ailes et par le contexte : les mouches d'or égyptiennes sont des récompenses rarement attribuées et réservées à des militaires de très haut rang.
Les Nubiens amènent des chiens, des boeufs à cornes torsadées (, , ), un babouin hamadryas et des singes verts (, ), dont l'un grimpe sur le cou d'une girafe magnifiquement représentée (), un félin (, ). S'y ajoutent des peaux d'animaux (), des queues de girafe, des oufs et des plumes d'autruche (), des billots d'ébène (), de l'or en anneaux et en barres, des défenses d'éléphant (), des onguents, des pierres violettes (améthyste?) et vertes (malachite?), de l'huile de Nubie dans de grandes jarres blanches ().

Texte d'accompagnement : "Venir en paix par les grands des contrées méridionales, la Nubie, la Basse-Nubie et Khenethennefer, en se courbant, en touchant la terre avec le front, portant leurs tributs, vers le lieu où se trouvait Sa Majesté, le Roi de Haute et Basse Égypte (Menkheperrê) |, vivant éternellement, afin de leur donner le souffle de vie. C'est le prince, gouverneur, chancelier du roi de Basse Égypte, ami unique, maire de la Ville, vizir, Rekhmirê, qui reçoit les tributs de toutes les contrées étrangères qui sont rapportés du fait de la puissance de Sa Majesté, au moyen de la force […] son efficience [.] ".

Registre 4 : le Retenou (Syro-Palestine)

Tous les hommes ont la peau très claire et portent la même robe blanche longue à manches décorées de bandes rouges et bleues. Leurs coiffures sont par contre différentes : cheveux coupés ras ou crâne rasé, cheveux tombant sur les épaules, tignasse ébouriffée entourée d'un ruban. Les produits qu'ils apportent ne suggèrent ni une grande richesse ni un haut degré de savoir-faire, deux caractéristiques amenées à évoluer ultérieurement. Les hommes amènent un éléphanteau, un ours (l'ours brun a disparu de Syrie au siècle dernier - (, ), des vases, dont quelques-uns en or (, , ), un char (, ) et ses deux chevaux - un animal que les Égyptiens n'ont jamais su représenter - (),

des bois rares, des armes (arcs, carquois, épées), quelques lingots de cuivre, des portes-onguent en ivoire et deux beaux vases qui semblent être faits en pâte de verre veinée et qui doivent figurer parmi les tout premiers importés en Égypte (, ).
Texte d'accompagnement : "Venir en paix par les grands du Retenou, toutes les contrées septentrionales des confins de l'Asie, en se courbant, en inclinant la tête, portant leurs tributs, afin d'obtenir que leur soit donné le souffle de vie, par désir d'être fidèle à Sa Majesté, voyant sa très grande force, la peur qu'il inspire prenant possession de leurs cours. Ainsi, c'est le prince, gouverneur, serviteur du dieu, grand confident du seigneur des Deux Terres, maire de la Ville, vizir, Rekhmirê, qui reçoit les tributs de toutes les contrées étrangères […]"

Registre 5 : les captifs des pays vassaux, Nubie et Retenou

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Il s'agit à la fois de prisonniers et d'otages. En particulier, Pharaon faisait venir à sa cour les fils des hauts dignitaires des pays conquis, ce qui calmait les velléités de révolte ; de plus, ces enfants recevaient une éducation à l'égyptienne et pouvaient constituer de puissants soutiens après être rentrés dans leur pays. Les captifs sont divisés en deux groupes précédés et suivis de gardes armés d'un gourdin et d'un bâton de jet.

À droite se trouvent les Nubiens, sept hommes et sept femmes (). Les femmes, qui portent de longues jupes rouges, amènent avec elles des enfants, portant les plus jeunes dans un panier sur leur dos.

À gauche s'avancent quatorze Syriens répartis en deux groupes () ; dans le premier, les hommes portent une tunique à manche et dans le second, un pagne doublé d'une fine tunique. Ils sont suivis par des femmes qui ont revêtu une curieuse robe blanche qui forme trois étages sur les jambes et qui est nouée à la taille par une ceinture. Elles aussi sont accompagnées d'enfants, dont un dans un panier (, , ).
Texte : "Amener les enfants des grands des contrées méridionales en même temps que les enfants des grands des contrées septentrionales, qui sont ramenés en tant que meilleure part du butin de Sa Majesté, le roi de Haute et Basse Égypte Menkheperrê, doué de vie, provenant de toutes les contrées étrangères, pour remplir les ateliers et pour (être) serviteurs de l'offrande divine pour (son) père Amon, seigneur des trônes des Deux Terres, comme ce qui lui a été donné, toutes les contrées étrangères ayant été rassemblées dans son poing, leurs Grands ayant été renversés sous ses sandales. Par le prince, gouverneur, celui qui est dans le cour de celui qui est dans le palais (= pharaon), le maire de la Ville, vizir, Rekhmirê, qui reçoit le butin de chaque contrée étrangère qui est rapporté grâce à la force de Sa Majesté."

Le vizir

(, )

Il est complètement effacé. Tourné vers la gauche, il assistait à la remise des tributs. Le texte d'accompagnement persiste : Recevoir les présents de la contrée du Sud en même temps que les présents de Pount, les présents du Retenou (Syro-Palestine), les présents de Crète, en même temps que le butin provenant de toutes les contrées étrangères, qu'a rapporté la puissance de Sa Majesté, le roi de Haute et Basse Égypte (Menkheperrê) |, vivant éternellement, par le prince, gouverneur, grand parmi les grands, dignitaire parmi les Amis, directeur de la fonction principale, confident efficient du souverain, celui qui a fait ce que louera celui qui est dans le Palais et qui l'a placé à la tête des amis, supérieur en chef du pays tout entier, (car) il l'a reconnu comme étant celui qui a fait des choses utiles. L'exemple est pour lui, son état de vénérable est devant lui, le maire de la Ville, le vizir Rekhmirê".
Rekhmirê est suivi par six dignitaires (appelés Amis ou Compagnons) portant dans la main gauche une branche végétale. Au-dessus d'eux se trouve un texte : "Les amis du Palais - vie, santé force - sortent devant le vizir, en récitant des prières. Chant de joie qu'ils récitent : Le souverain, celui dont les monuments sont parfaits, Menkheperrê. Chaque charge a été confirmée, les domaines et les cités ont été établis. Les lois et chaque règlement sont durables pendant sa fonction. Les enfants des dignitaires sont dans la fonction de leurs pères. Puisse-t-il continuer (littéralement : recommencer) de faire la même chose pour des millions d'années. Il est durable et stable sur le trône d'Horus. Puisse-t-il agir afin qu'il recommence à faire des fêtes-sed. Puisse-t-il guider les vivants pour l'éternité".
Ce texte indique clairement qu'ils ouvrent la voie au vizir qui quitte la salle du trône après le discours du roi. Derrière eux se trouvait un personnage porteur d'un bâton, qui a presque complètement disparu.

Le texte de l'installation du vizir

Le discours, prononcé par Thoutmosis III à l'intention de son vizir fraîchement nommé, constitue un condensé des principes qui doivent gouverner l'action de ce puissant personnage. Il s'agit là encore d'un texte difficile, qui reste sujet à certaines interprétations (traduction de Michel Dessoudeix) ().

Prélude : "Instructions communiquées au vizir Rekhmirê. Introduire les membres du Conseil dans la salle d'audience du palais, vie, intégrité, santé. Faire qu'on présente le vizir Rekhmirê, nouvellement nommé. "
Discours du roi : "Et Sa Majesté lui dit : Surveille donc le bâtiment du vizir. Veille à être vigilant quant à tout ce qui s'y fait. Vois, c'est l'étai du pays tout entier. Vois, quant au vizir, vois, ce n'est vraiment pas une chose douce, vois, c'est une chose amère comme le fiel. Vois, c'est le cuivre qui entoure l'or du domaine de son seigneur. Vois, c'est quelqu'un qui n'incline pas la tête devant les magistrats du conseil, et qui ne fait pas ses partisans de n'importe qui. Vois, si un homme se trouve à l'intérieur de la maison de son maître (= s'il agit conformément à la règle), c'est convenablement qu'il doit agir (pour lui) et ce n'est pas pour un autre qu'il doit faire de même. Vois, c'est après qu'il a subi […] dans le bureau […] que vient un plaignant de Haute Égypte ou de Basse Égypte, (bref) du pays tout entier, tu veilleras donc à faire toute chose conformément à la loi, à faire toute chose comme il convient (littéralement : toute chose par rapport à sa justesse) en [faisant (?)] que justice lui soit rendue.
Vois, concernant un magistrat qui auditionne en public, c'est de tout ce qu'il fait que l'eau et le vent rendent compte. Et, vois, on n'ignore pas ce qu'il a fait. En effet (littéralement : c'est en vérité), s'il fait quelque chose [de mal] par rapport à sa conduite et que cela n'est pas révélé de la bouche même du responsable des affaires en cours, alors on (le) saura de la bouche de celui qu'il a jugé, quand il dira cela à côté du responsable des affaires en cours, en déclarant : "Ce n'est pas cela, soutenir mon cas (littéralement : ma voix). Le plaignant enverra […] ou le magistrat. De plus on ne peut pas ignorer ce qu'il a fait. Vois, c'est un refuge pour le magistrat de faire une chose selon la règle, en faisant ce qui a été déclaré. Le plaignant et celui qui est jugé [.] "On ne m'a pas rendu justice".
Vois, c'est le proverbe qui se trouve dans le Livre de Memphis, à savoir : 'À Seigneur clément, vizir renommé !' Méfie-toi de ce qui était dit du vizir Khety. C'est-à-dire que c'est au profit d'autres personnes qu'il appauvrissait les gens de son entourage de peur de ce qu'on pourrait dire contre lui [.] Que l'un d'entre eux se plaigne d'un jugement qu'il pensait appliquer à son égard, il persévérait à l'appauvrir, alors c'était par excès de justice […] C'est l'abomination du dieu d'être partial (littéralement : donner sur le côté). C'est un enseignement, aussi tu agiras de même, de sorte que tu considéreras celui que tu connais comme celui que tu ne connais pas, celui qui est proche de toi comme celui qui est loin de toi.
Quant au magistrat qui fait une chose semblable à cela, il deviendra prospère, ici, dans cette fonction. Ne traite pas le plaignant avec négligence avant que tu n'aies prêté attention à ses paroles. S'il y a un plaignant qui vienne à se plaindre auprès de toi, ne déboute pas ce qu'il dit comme une chose déjà déclarée. Tu ne le débouteras qu'après que tu auras fait en sorte qu'il comprenne pourquoi tu le déboutes. Vois, on a coutume de dire : 'Si un plaignant désire qu'on prête attention à son discours c'est pour entendre ce pour quoi il était venu'.
Ne te montre pas courroucé envers un homme injustement. Tu te montreras courroucé à propos de ce pour quoi on doit se montrer courroucé. Fais-toi craindre afin qu'on ait peur de toi (car) c'est un magistrat, le magistrat qui est craint. Vois, c'est le prestige du magistrat, faisant la justice. (Mais) Vois, si un homme se fait craindre un million de fois, il y a quelque chose en lui de déviant dans l'opinion des gens. Ils ne peuvent pas dire de lui : 'C'est un homme !' Vois […] un magistrat qui dit un mensonge, C'est selon son mérite qu'il doit sortir. Vois, tu réussiras parce que tu occuperas cette fonction en faisant la justice. Vois, c'est dans les décisions du vizir qu'on désire accomplir la justice. Alors, vois, c'est son gardien scrupuleux depuis (le temps du) dieu. Vois, c'est à propos du grand scribe du vizir qu'on dit 'Scribe de Maât', dit-on de lui. Et quant au bâtiment dans lequel tu auditionnes, il y a un hall dedans sous […] jugement [.]" Quant à celui qui pratique (?) la justice devant tous les gens, c'est le vizir. Vois, un homme reste dans sa fonction quand il fait les choses selon l'ordre qui lui est donné. La chance est pour un homme, quand il fait selon ce qui lui est dit. Ne fais pas traîner une affaire dont la loi qui la concerne est connue. Et, vois, en ce qui concerne l'audacieux, c'est davantage que l'audacieux que le maître aime le craintif. Ainsi tu agiras selon l'ordre qui t'a été donné. Vois, cela est donné pour […] et prête attention à ces districts en procédant à leur attestation. Si tu envisages d'inspecter, tu enverras, pour inspecter, les directeurs de districts, le directeur des policiers et les contrôleurs. S'il y a quelqu'un qui peut inspecter avant toi, tu te renseigneras sur lui, ainsi tu agiras comme ce qui t'est ordonné."

On ne peut qu'être frappé par le haut niveau de rectitude attendu chez le plus puissant serviteur de l'État. Pharaon insiste sur la difficulté de la tâche, qui n'a rien d'une sinécure. Les jugements doivent être rendus conformément à la loi, sans favoritisme et les pétitionnaires doivent pouvoir librement s'adresser au vizir. L'attention accordée à l'opinion publique doit être soulignée. Si la réalité était parfois loin de cet idéal, celui-ci avait du moins le mérite d'avoir été formulé par écrit. Un point intrigant est l'absence, aussi bien dans l'Installation que dans les Devoirs, de toute référence à la procédure criminelle, mais peut-être en était-il question dans la large lacune (rebouchée) correspondant à la "fenêtre" percée dans le mur de façade.

Le roi sous un kiosque

Le roi Thoutmosis III est assis sous un kiosque. Il est identifié par son nom de Fils de Rê (Djehoutymes), dans un cartouche blanc sur la et la et son nom d'Horus (Taureau puissant [Celui qui est apparu dans Thèbes] porté par son Ka (). Le toit de l'édifice est supporté par des colonnettes lotiformes et porte le soleil ailé Behedety, dont le nom a été effacé par les atonistes. Le pharaon est représenté sur le modèle d'Osiris, gaîné dans une tunique à décor de plumes, coiffé de la couronne atef et tenant en mains la crosse et le chasse-mouches. Devant le kiosque se tenait Rekhmirê qui a été complètement effacé.