TT127, la tombe de Senemiah ,
puis Piay et son fils Pairy

Il n'existe que peu de documents sur la tombe thébaine 127 de Senemiah (ou Senemjah), littéralement "le fils de la lune". Une publication complète du monument par M. Nasr-Wabah et Hartwig Altenmüller est cependant annoncée depuis des années.
Malgré son aspect aujourd'hui un peu décourageant, TT 127 était certainement une des plus belles tombes thébaines du début de la XVIIIe dynastie, entièrement décorée en relief levé ; de plus, certains de ses thèmes décoratifs, notamment ceux en rapport avec des produits venant du pays de Pount, sont très intéressants.

Situation et aspect général

La TT 127 se trouve sur la colline de Cheikh Abd-el Gournah (). La tombe accessible au public la plus proche est celle de .
Jusqu'à une époque récente, l'avant-cour était ensevelie sous des constructions modernes. Depuis la démolition d'une grande partie du village de Gournah, il n'y a plus aucune construction parasite, mais il faut bien reconnaître que les alentours ont pris un aspect quelque peu lunaire (, , , ).
L’accès à la tombe se fait par un escalier étroit en briques, qui court le long de la façade originelle ( et ). La cour qui se trouvait à l'avant a complètement disparu. Le monument est orienté (à peu de choses près) sud-nord. L'orientation canonique est-ouest est rétablie grâce à la décoration.

Ce qui frappe d'emblée en entrant dans la tombe, c'est l'aspect noirci de toutes les parois et des plafonds, dû à la crasse et à la suie liées à l'occupation humaine et animale. Comme le montrent certaines des photos, une équipe au moins de restaurateurs a entrepris un travail de nettoyage, avec un certain succès () ; hélas, les chatoyantes couleurs d'origine ont disparu à tout jamais. Les parois sont entièrement décorées d'un relief levé d'une très grande qualité. Il ne fait aucun doute que cette tombe, si elle avait été mieux préservée par le temps et surtout les hommes, aurait constitué un des joyaux de l'architecture funéraire non royale dans la nécropole thébaine.

Histoire de la tombe thébaine 127

En raison d’un passage de texte dans la biographie de Senemiah dans lequel il est fait allusion au souverain comme "la fille issue de la chair du Dieu Amon" (suivi d'un groupe de signes détruits, probablement vie - force - santé), la datation de l’époque d'Hatchepsout semble certaine, même si le monument n'a peut-être été achevé que sous Thoutmosis III. L'absence de nom de roi correspond bien à la période floue où les deux règnes se chevauchent.

Le monument a été réutilisé, à l'époque ramesside, par un dénommé Piay et son fils Pairy.
Cette datation ramesside repose sur le style des quatre représentations ajoutées par Piay et sur le fait que le nom d’Amon contenu dans la titulature des deux hommes est intact, alors qu'il est presque toujours effacé dans celle de Senemiah.
Il s'agit d'une réutilisation légale de la tombe, et non d'une usurpation : rien de ce qui concerne le propriétaire initial n'a été détruit. Ce respect est suffisamment rare pour qu'on y insiste, et justifie une pensée bienveillante pour Piay et Pairy : puissent leurs destinées post-mortem avoir été conformes à leurs souhaits.
Lorsqu'il est mentionné, Piay se présente quasiment toujours comme le fils de Senemiah, ce qui est biologiquement impossible : même si la seconde occupation datait du début de l'époque ramesside, six à huit générations au moins séparent les deux hommes. Il faut comprendre qu'il s'agit d'une filiation putative, "fonctionnelle".
Oui, mais les choses semblent plus complexes : il existe, dans la salle longitudinale, des inscriptions (vérifiées) qui mentionnent la présence d'un vrai fils de Senemiah du nom de… Piay (Kampp). Il est représenté en compagnie d’un prêtre sem qui a été martelé à l’époque amarnienne. Ceci voudrait donc dire que la réoccupation de l’époque ramesside a été le fait d'un homonyme du fils de Senemiah, une filiation fonctionnelle idéale en quelque sorte… De toute évidence, une étude complémentaire est nécessaire pour éclaircir ce point intéressant.

Quoi qu'il en soit, Piay et Pairy n'effacent rien, ils ajoutent et même restaurent : il est très probable qu'on leur doit la restitution du nom d'Amon, martelé par les zélateurs d'Akhenaton.
On leur doit aussi de nombreuses inscriptions, qui viennent harmonieusement s'ajouter à celles d'origine, remplissant chaque espace disponible, sans jamais toucher - et encore moins détériorer - ce qui existe.
Les dames accroupies qui participent au repas funéraire, anonymes sous Senemiah, se voient dotées d'un nom et d'une parentèle par Piay.
La scène de purification devant la momie, quasiment dépourvue de texte initialement, se trouve abondamment commentée ; ainsi, devant le prêtre qui officie, on lit : "son fils, le prêtre Ouab, qui fait vivre, du domaine d'Amon, Amenemhab, juste de voix, aussi connu sous le nom de Pairy". Et un peu plus loin, dans une autre scène de purification: "offrir de la bière (?) à [?] ouab, supérieur du trésor d'Amon, Piay, juste de voix, dans hrt-netjer par son fils, qui fait vivre son nom, le prêtre ouab d'Amon, Pairy".
Piay se nomme lui-même dans la scène qui montre son prédécesseur Senemiah et son père en train d'inspecter le bétail et les volailles. Cette inscription est placée sous le siège de Senemiah.
Par contre, les nouveaux arrivants n'ajoutent que quatre représentations à celles existantes, montrant Piay et son épouse en position d'adoration () ; elles se trouvent de chaque côté du passage séparant la salle transversale du couloir longitudinal, une zone que Senemiah n'avait pas décorée.

Le personnage Senemiah

On connait le nom de son père Ouadjmes, et de son frère Iahmes, mais on ne sait rien d'eux. Il a eu deux épouses, sans doute successives : Senseneb et Tetiseneb
Sa carrière peut être reconstituée à partir de sa biographie et de ses titres : (plus de détails sur ces derniers dans élaboré par Raymond Monfort à partir de Ürkunden IV, pages ). L'autobiographie nécessite un travail complémentaire.

Au début de sa carrière, Senemiah, outre son titre de "scribe royal", en porte d'autres essentiellement en rapport avec des activités de contrôle dans le domaine agricole :
"Le scribe qui compte les pains" ; var: "le scribe qui compte les pains de Haute et Basse Égypte"
" (Celui qui) compte les vêtements et les céréales de Haute et Basse Égypte"
"Le superviseur de tous les produits maraichers"
"Le supérieur du cellier (litt. la place du vin) "

Puis, Senemiah s'est rapproché du souverain, jusqu'à atteindre le poste important de directeur du trésor :
"Porteur du sceau, confident du Maître des Deux-Terres"
"Le supérieur de la Double-maison-du trésor"
"Le confident du roi dans toutes les charges"
"Le grand des favoris dans le Palais royal"

Senemiah a succédé comme directeur du trésor à un certain Djehouti, qui lui aurait auparavant transmis sa fonction de responsable des drogues. Ce poste consistait à superviser le tri et l'enregistrement de l'encens et de la myrrhe, et était donc en relation avec les expéditions d’Hatchepsout au pays de Pount.
Senemiah porte aussi quelques titres sacerdotaux, ce qui complique encore l'appréciation de ses fonctions réelles : "Le dignitaire dans le Per-nefer (la maison de l'embaumement) ", "Celui qui agrandit la place dans la Maison de Vie".

Un fait intriguant demeure : l'emplacement et le modèle de la tombe 127 sont trop modestes pour un personnage qui a atteint la haute fonction de directeur du trésor. Il est donc vraisemblable que le creusement et la décoration du monument datent de l'époque où il n'était encore que comptable du pain. Ultérieurement, il a fait rajouter les scènes de tribut, qui n'ont pas de rapport avec ses premières fonctions. Peut-être même s'est-il fait aménager une autre tombe lorsqu'il est devenu directeur du trésor, nous n'en savons rien.

Description

La tombe comporte une entrée trois salles et deux passages. Pour placer les photographies des différentes scènes, nous nous sommes fiés aux descriptions du Porter & Moss (PM) , dont nous avons conservé les numéros. Veuillez donc vous reporter au plan ci-contre. Vu les conditions, il est possible que certaines images soient mal placées : elles sont suivies d'un "?"

1) - L'entrée

Kampp écrit : "On reconnait encore les restes de la façade faite en blocs de calcaire avec traces d’enduit. L’encadrement de porte, travaillé dans la pierre environnante est détruit, sauf pour le montant droit qui conserve quelques inscriptions". Il semble que les choses ont changé depuis, puisque les deux montants de porte ont été maçonnés.
Du côté droit du petit couloir d'entrée (environ 2m de large et 1,7m de profondeur) se trouve une représentation du défunt adorant le soleil levant (scène PM 1, ).

2) - La première salle

Elle est transversale, perpendiculaire à l'entrée, et comporte deux ailes, est et ouest. Elle mesure environ 10 × 2,6m (les mesures sont approximatives, réalisées à partir de celles de TT 55). Le mur sud est divisé en deux portions de longueur inégale par l'entrée, et il en est de même pour le mur nord, où s'ouvre le passage qui mène vers la salle longitudinale ; celui-ci n'est pas dans l'axe de l'entrée.

a) - Aile gauche (ouest), mur sud

Scène PM 2

 :

- le défunt reçoit des produits des oasis du sud et du nord : .
- Scènes agricoles, qui se prolongent sur PM 3 : , et une juxtaposition des images agricoles PM2 et PM3, d'après Wreszinski : .

Scène PM 3

 :

- Piay est assis devant une table garnie d'offrandes ; en dessous, un harpiste et des femmes battent la mesure : , , , .
- Suite des scènes agricoles de PM 2 : .

b) - Aile gauche (ouest), mur ouest

,

Scène PM 4 :

Fausse porte taillée directement dans la paroi calcaire ( et ). Elle comporte les représentations de Senemiah et d'une de ses épouses, Tetiseneb (voir à droite). De chaque côté se trouvent trois registres comportant chacun un personnage : deux porteurs d'offrandes et un prêtre lecteur.

c) - Aile gauche (ouest), mur nord

Scène PM 5

 :

- Le défunt et son épouse font face à un couple.
- Un homme et une femme font offrande. Un prêtre fait une libation devant le défunt et Tetiseneb.

Scène PM 6

 :

- Senemiah reçoit les produits du Fayoum.
- Des jeunes filles offrent des colliers menat au défunt.

d) - Aile droite (est), mur sud

Scène PM 7

(détails dans Hallmann) et

Scène PM8 : combinées, elles forment deux registres.

Registre inférieur

Chasse au gibier d'eau à l'aide de filets, dans une scène qui ne dépareillerait pas à l'ancien empire (). Sur la droite du fourré de papyrus, on voit émerger la tête du maître de chasse qui donne l'ordre aux hommes de tirer sur la corde pour refermer le filet dans lequel une grande quantité d'oiseaux sont piégés (). Deux choses sont inhabituelles : la première est la présence d'un homme autre que le propriétaire qui s'apprête à propulser un bâton de jet sur les volatiles qui tenteront de s'échapper ; de son autre main, il tient un second bâton en réserve sur l'épaule. La seconde est la présence, parmi les hommes tirant la corde, de deux personnages porteurs de barbes triangulaires qui leur donnent l'air d'Asiatiques.

Registre supérieur

À l'extrême gauche de PM8, le défunt et sa femme (ou sa mère) sont assis, regardant vers la droite.

Trois registres montrent des hommes apportant des biens, avec cette inscription : "Réception des biens jnw de Koush, par Senemiah, comptable du pain de Haute et Basse Égypte, juste de voix".
- Sous-registre 1 : trois hommes d’apparence égyptienne amènent des sacs, dont le contenu n'est pas visible. La scène rappelle le retour des expéditions lancées par la reine Hatchepsout vers le pays de Pount, sauf que, dans ce cas, les denrées sont présentées par des Nubiens.
- Sous-registre 2 : trois hommes d’apparence égyptienne amènent des sacs, dont le contenu n'est pas visible empilement de corbeilles, de coupes et de boules rondes (encens ?), de sacs et d'objets ovales et longs (du bois ?).
- Sous-registre 3 : trois hommes d’apparence égyptienne amènent encore des sacs ; on retrouve corbeilles, coupes, boules rondes, et un objet rectangulaire ainsi que des cruches ressemblant à celles destinées à transporter l'ocre pour les peintures.

Le voisinage de la scène des offrandes Jnw de Koush avec la capture des oiseaux et la présentation de bestiaux est inhabituel. Il semblerait que Senemiah ait choisi de combiner certains passages classiques chez les fonctionnaires avec d'autres en rapport avec l’approvisionnement, peut-être parce que les programmes décoratifs habituels ne lui convenaient pas. C’est ainsi qu'il fait allusion dans les scènes de tributs à l'encens et à la myrrhe pour rappeler qu'il avait en charge l'enregistrement et l'inspection de ces résines en provenance du Pount, comme cela est mentionné dans son autobiographie. Et il ne faut pas oublier (Angenot) que "l'Égyptien tire constamment parti de la coprésence du texte et de l'image. Il aime y ménager une dissonnance quelconque qui permet une superposition de sens, sens que chacun dans son ordre ne pourrait produire isolément".

Plus à droite, on retrouve Senemiah debout, inspectant du bétail. Certaines bêtes se battent. Un homme se prosterne.

e) - Aile droite (est), mur est, scène PM 9

Stèle cintrée comportant une adresse aux vivants et un texte autobiographique, non encore traduit (vous le trouverez dans Ürkunden IV. Nous n'avons aucune image à vous montrer, hélas.

f) - Aile droite (est), mur nord

Scène PM 10

 :

- Senemiah et son père surveillent les hommes amenant du bétail et de la volaille.
- Apport d'oies, de grues, d'ânes et de bœufs ().

Scène 11

 : ()

- Pêche au harpon (avec sa femme) et chasse au gibier d'eau avec un bâton de jet ().
- Vendanges () : récolte du raisin et pressage.

3) - La salle longitudinale

Elle mesure environ 5,8 × 2m. Elle dévie de 3° de l'axe nord-sud de l'entrée.

a) - Le passage

Scène PM 12 :

Il se situe sur le mur nord, nettement excentré vers la gauche. C'est le seul endroit où des représentations figuratives ont été ajoutées par les nouveaux occupants. Ils n'ont pour cela rien détérioré : le passage était anépigraphe.
- Linteau : liste de fêtes ; jambages : textes de Piay.
- Partie externe du passage : Piay en adoration. Hymnes (à Rê sur la gauche).
- Partie interne du passage : la femme de Piay présente un sistre () ; textes de Piay.

b) - Paroi gauche (ouest)

Scène PM 13

 :

- Pèlerinage en Abydos () et procession funéraire (, , et (?) , , ), avec le mystérieux tekenou () et les traditionnels danseurs mouou, reconnaissables à leur curieuse coiffe d'osier ().
- Le tiers distal de la paroi a été ouvert à l'époque ramesside pour creuser une petite pièce annexe, restée anépigraphe. Cette pièce communique aussi avec la salle du fond, et de ce fait, il existe un pseudo pilier représenté par un fragment de paroi (). La présence d'un puits funéraire dans cette annexe est incertaine.

c) - Paroi droite (est)

Scène PM 14

 :

- Diverses scènes rituelles, notamment le transport de la statue du défunt vers une chapelle ( ?).
- Rites devant la momie ( et et (?) , , ).
- Offrandes, avec un officiant à droite.

Scène PM 15

( ?) :

Piay fait des offrandes au défunt et à Tetiseneb, en présence de femmes de la famille.

4) - La salle du fond

(nous n'en avons

aucune image ; ses dimensions approximatives sont 5,6 × 2,5m.)

a) - Le passage, PM 16

Il a été surélevé à l'époque ramesside.
- Linteau : Senemiah fait offrande à ses parents ; son frère Aahmes lui fait offrande ainsi qu'à son épouse Tetiseneb. Jambages : formules d'offrandes récitées par Piay.
- Épaisseur : hommes portant des braséros.

b) - Aile gauche (ouest), mur sud, PM 17

Il reste peu de choses de cette zone largement ouverte dans la pièce annexe, seulement des titres du défunt au sommet.

c) - Aile gauche (ouest), mur ouest, PM 18

- Un prêtre lecteur fait libation et offre de l'encens.
- Un prêtre lecteur fait offrande.

d) - Aile gauche (ouest), mur nord, PM 19

Restes de porteurs d'offrandes.

e) - Aile droite (est), mur sud, PM 20

- Le défunt sort sur terre.
- Le défunt est purifié par six prêtres.

f) - Aile droite (est), mur est, PM 21

Senemiah et Tetiseneb.

g) - Aile droite (est), mur nord, PM 22

Un homme avec une liste d'offrande se tient devant ? assis. Sous la chaise, présence d'un singe.
Dans le coin nord-est se trouve une ouverture donnant sur un passage destiné à agrandir la tombe. On ne sait rien sur lui.