La tombe de Nefertari Merytmout , QV66

La reine a vécu pendant la XIXème Dynastie (c. 1295-1255 B.C.), et son nom complet était Nefertari Merymout, "Belle compagne, aimée de Mout". Elle fut la première Grande Épouse Royale (GÉR) de Ramses II. L'Histoire en a fait une des reines les plus célèbres d'Égypte, aux côtés de Cléopatre, de Néfertiti et d'Hatchepsout. Cette célébrité est due à deux monuments splendides que Ramses a fait réaliser pour elle : le petit temple d'Abou Simbel (), qui lui est consacré, et sa tombe décorée dans la Vallée des Reines.

Néfertari a donné naissance à quatre garçons, les princes Amonherkhepeshef, Parêouenemef, Meryrê et Meryatoum, et à quatre filles, les princesses Baketmout, Nefertari, Merytamon et Henouttaouy. Normalement, la succession de Ramsès II aurait dû échoir à un deses fils, mais il n'en fut pas ainsi. C'est Merenptah, un fils de l'autre Grande Épouse Royale, Isineferet, qui montera sur le trône.
La reine Néfertari a participé à l'inauguration des temples d'Abou Simbel en l'an 24 du règne. Puis elle disparait des archives ; elle est morte à l'âge de 40 à 50 ans autour de l'an 25.

Les premiers pharaons Ramessides ont été confrontés à un problème de légitimité politique, puisqu'ils ont accédé au pouvoir à l'occasion de la crise successorale de la fin de l'époque amarnienne. Mais la vindicte apparente de Ramsès II contre Akhénaton, dont il fut le principal persécuteur, cache surtout une réalité : le grand Ramsès a adopté des innovations de la période hérétique. Parmi celles-ci, la mythologisation et l'accent mis sur le rôle de la reine (qui rappelle le rôle de Néfertiti auprès d'Akhénaton) et la réintroduction du titre "Épouse du dieu".
Les tombes des reines de l'époque ramesside deviennent, pour la première fois, la contrepartie féminine des tombes de pharaons dans leur forme et leur fonction. Leur niveau de complexité est tel que chacune est un microcosme où peuvent se dérouler les processus de re-conception, de renouveau et de renaissance que la défunte imaginait pour son avenir : un destin autonome et royal.

LA REINE ET SA FAMILLE

La reine

Les origines exactes de Nefertari ne sont pas connues. On a cependant retrouvé dans sa tombe un objet en fritte glaçurée correspondant soit à un pommeau de cannes, soit plus vraisemblablement, à un bouton de coffre, qui porte le cartouche du pharaon Ay (). Il est donc possible que la reine soit apparentée à ce personnage longtemps appelé "divin père", avant qu'il ne monte sur le trône après le décès soudain de Toutankhamon.
Vers l'âge de 13 ans, Nefertari épouse le prince héritier Ramses qui avait dans les 15 ans. Jusqu'à son décès, Nefertari semble être restée la plus importante des nombreuses épouses du souverain.
Elle quitta cette terre durant la 25ème année du règne de Ramses, sans que nous ne sachions rien des causes de son décès.

La reine a mis au monde au moins quatre fils et deux filles, mais aucun n'est monté sur le trône. En effet, l'héritier qui finalement succèdera à Ramses II, après 67 ans de règne, sera Merenptah, 13ème fils, né d'une autre GÉR, la reine Isisnofret.

Ses enfants

Ramses II a eu plus de cent enfants, dont les noms ne nous sont pas tous connus, et dont la mère ne peut pas toujours être identifiée avec certitude. Voici la liste de ceux qui sont certainement de Nefertari :

Prince Amon-her-khepeshef ('Amon est sur sa hache de guerre', ou 'Celui qui reçoit d'Amon son arme victorieuse'), prince héritier, commandant des troupes. Son nom de naissance était Amonherounemef ('Amon est sur son bras droit', ou 'sur sa droite').

Prince Pareherouenemef.

Prince Meriatoum, grand prêtre à Heliopolis.

Prince Meryre.

Princesse Meritamon, chanteuse d'Amon et prêtresse d'Hathor.

Princess Henouttaouy.
Il pourrait y en avoir d'autres.

Ses titres

• "Grande Épouse Royale": ce titre, ainsi que les trois qui suivent, indique la prééminence de Nefertari parmi les huit épouses officielles du pharaon.
• "Grande Épouse Royale, son aimée"
• "Épouse du taureau puissant"
• "Épouse du dieu"
• "Mère du roi", ceci confirme qu'un des fils de Nefertari était l'héritier du trône.
• "Noble Dame héréditaire" ce qui signifie que Nefertari est de noble lignage.
• "Grande de louanges"
• "Maîtresse du charme, de la douceur et de l'amour"
• "Maîtresse de Haute et Basse Égypte" ce titre, et ses deux variantes ci-dessous, indiquent que la reine avait un rôle politique à jouer.
• "Maîtresse des Deux Terres"
• "Maîtresse de tous les pays"
• "Gracieuse dans les deux plumes" ceci se rapporte à une des parures préférées de la souveraine, qui comportait deux plumes, comme celle du dieu Amon.
• "Pour qui le soleil brille" il s'agit d'une inscription unique sur la façade de son temple en Abou Simbel.
• "Grande de faveurs" indication possible d'une fonction judiciaire.

Il est intéressant de remarquer que, dans cette titulature, les scribes ont utilisé deux variantes hiéroglyphiques pour transcrire un mot que nous rendons en Français par "Maîtresse" ou "Dame", ce sont ((nbt) et ((Henout). Il y avait certainement pour les Égyptiens une nuance qui nous échappe.

Histoire de la tombe

Vers la fin de l'époque ramesside, le déclin politique et économique du pays se manifeste par un véritable pillage organisé des tombes de Thèbes Ouest, qui ne respecte même pas (surtout pas!) les sépultures des rois et des reines d'Égypte. Des documents de la fin de la XXème Dynastie sont édifiants sur l'étendue des pillages et le degré de corruption de l'époque, qui assurait souvent l'impunité aux voleurs (voir Pascal VERNUS : Affaires et scandales sous les Ramsès, Pygmalion, 1993) .
Il est probable que la tombe n'est pas longtemps restée accessible, car elle a échappé aux réoccupations successives qui ont en grande partie ruiné les autres tombes de la vallée : pas d'incendie, pas de momie gréco-romaine, pas de moine Copte, etc…
L'ouverture, assez bas située, a dû se boucher vers la fin de la XXème Dynastie, notamment à la suite des pluies rares mais très violentes qui s'abattent de temps à autre sur la région. Et la tombe fut ainsi perdue jusqu'à l'arrivée de l'Italien Schiaparelli.

En effet, il faut attendre Ernesto Schiaparelli en 1904, pour que renaisse la tombe de Nefertari (QV66), qui est située au pied du flanc Nord du Ouadi principal de la Vallée des Reines.

Le calcaire de cette zone n'est pas de très bonne qualité, et était déjà volontiers fracturé par des tremblements de terre. Aussi, les artisans ont ils dû recourir à plusieurs couches de plâtre avant la peinture.
La tombe fut tout de suite reconnue comme un chef d'oeuvre, mais hélas, elle commença à se dégrader progressivement, comme le montrent les photos d'époque. Ces dégradations aboutirent à sa fermeture au public dans les années 50. Des travaux de restauration furent alors entrepris pour stopper l'évolution des fissures et décollements qui avaient déjà fait tomber de larges pans du décor.
Il fallut néanmoins attendre 1986 pour que des mesures modernes et drastiques soient prises pour stabiliser les peintures, grâce à l'intervention du Getty Conservation Institute of America. C'est ainsi qu'en février 1988, après ces travaux préparatoires réalisés sous l'égide d'équipes internationales, le processus de restauration proprement dite put débuter.

Il fut établi que, pour une fois, l'essentiel des dommages n'était pas dû aux hommes, mais à la nature. Les remontées de sel furent désignées comme les principaux responsables. En cristallisant en surface du calcaire, et dans les couches d'argile du plâtre, les cristaux, dont certains atteignent plusieurs centimètres, décollent le décor et le réduisent en poudre. L'étude des photographies de Schiaperelli's montre la lente, mais inexorable, progression des dégâts : de photos d'époque et des plus récentes.
Ajoutons que les premiers restaurateurs n'ont pas facilité le travail en collant de grandes bandes de gaze sur les fissures.

Ainsi, le monument est aujourd'hui stabilisé et nettoyé, et a retrouvé une grande partie de sa magnificence d'antan. Les zones perdues depuis Schiaparelli n'ont pas été reconstituées, mais des fissures furent remplies de plâtre et peintes en "trattegio" (lignes droites) permettant à la fois de se rapprocher de la couleur d'origine, mais aussi d'indiquer aux archéologues futurs que ces zones avaient été restaurées.

Le travail de restauration s'acheva en avril 1992, mais il fallut attendre novembre 1995 pour que la tombe soit rouverte au public. Ouverture extrêmement restreinte, réduite à 150 personnes par jour, en petits groupes de 10 à 15, avec une visite réduite à 15 mn. Il s'agissait d'essayer de préserver le fragile micro-climat dans le monument.
Hélas, ces restrictions ne suffirent pas à garantir la sécurité de la tombe et des bactéries, amenées par la respiration humaine, se mirent à pousser sur les parois. C'est pourquoi, en janvier 2003, la tombe fut de nouveau fermée au public. Elle a ouvert une nouveele foisen 2016 de manière très restreinte.
[J'ai eu la chance de faire partie d'un des groupes qui ont visité la tombe, et je dois dire qu'elle laisse une impression inoubliable, même si 15 mn seulement in situ c'est vraiment très très peu. TB]

GÉNÉRALITÉS - ARCHITECTURE

On entre dans la tombe par une première volée de 18 marches qui mènent à un premier niveau comportant 3 pièces ; puis une seconde volée de marche descend à un second niveau qui comporte la chambre funéraire principale ainsi que 3 annexes.
La chambre funéraire comporte 4 piliers, et elle est divisée en trois parties dans le sens de la longueur, avec deux zones surélevées qui entourent une zone centrale plus basse de 0,60m.
L'axe grossièrement Sud - Nord de la tombe n'est pas droit, mais oblique vers l'Est au niveau du second escalier, par crainte de l'architecte d'entrer en collision avec la tombe QV 80 de la reine Touy, mère de Ramses II (), ou à cause d'un problème inconnu.
L'antichambre du premier niveau présente un recessus en forme de banquette à l'Ouest et au Nord ; les espaces ainsi créés étaient tous décorés.
Dans la chambre funéraire existe aussi une telle structure, qui court tout autour de la pièce et qui n'est interrompue que par l'ouverture des annexes et par l'entrée d'une petite niche.

La tombe de la reine Nefertari est considérée comme une des plus belles d'Égypte. Son décor, réalisé par les artisans de Deir el Medineh qui s'occupaient aussi des tombes royales, est d'une qualité tout à fait exceptionnelle, et ses couleurs chatoyantes ont merveilleusement résisté au temps.
La tombe était prête à recevoir son illustre propriétaire lorsque, durant la 25ème année de règne de Ramses II, la souveraine s'est éteinte.
Le travail a certainement mobilisé différents corps d'artisans, chacun spécialisé dans son domaine. Comme dans les tombes royales, il est probable que deux équipes (Nord et Sud) opéraient conjointement. Le travail engageait les corps de métiers les uns après les autres, mais les artisans n'attendaient pas que le groupe qui devait oeuvrer avant eux ait fini. C'est ainsi que les carriers étaient encore en action dans le fond de la tombe tandis que le travail des plâtriers (qui devaient passer au moins deux couches) et celui des peintres au premier niveau avait déjà commencé.
Les peintres avaient en effet besoin d'un support bien lisse, et dont la couche superficielle facilite l'adhérence des couleurs. C'est pourquoi les plâtriers rajoutaient dans l'enduit final un mélange de gommes végétales. Les contours des images et hiéroglyphes étaient tracés dans un premier temps, avant un travail de gravure fine, puis enfin les couleurs étaient appliquées.

Les plafonds sont partout recouverts d'une peinture bleu nuit, sur laquelle se détachent des étoiles jaunes. Ce type de plafond est spécifique des tombes royales, et ne se retrouve jamais chez les particuliers, chez lesquels on trouve des motifs géométriques.

A la base de chaque mur (sauf sous les banquettes) se trouve un bandeau noir, séparé du décor du dessus par une bande rouge, et du bas du mur par une bande jaune.

Nous sommes ici dans une tombe de reine, et en conséquence il n'y a aucune des images de la vie quotidienne si fréquentes dans les tombes de particuliers.
Le destin funéraire de Nefertari n'est pas celui du commun des mortels. Il s'agit d'un voyage 'initiatique' dans les arcanes de l'autre monde, qui vont lui permettre de s'unir éternellement à Osiris et à Ra. Ce voyage symbolique amènera la souveraine dans les diverses parties de sa tombe, avant de la ramener au pied de l'escalier d'entrée. De là, elle pourra remonter vers le monde des vivants, et émerger comme et avec le soleil levant, à l'Est, chaque jour, pour le temps infini et le temps éternel (). Elle a triomphé, triomphe et triomphera toujours du monde de l'obscurité.

Si elle ne partageait pas le destin post mortem du commun, la reine n'était cependant pas pharaon. De ce fait, les grands livres funéraires compilés par les savants, et qui s'étalaient sur les parois de leurs tombes, lui étaient interdits.
Les scribes et prêtres ont donc utilisé exclusivement le Livre des Morts (nom inapproprié donné par les modernes à des recensions de textes funéraires, que les Égyptiens appelaient 'Livre de sortir le (au) jour').

LES DÉCOUVERTES dans la tombe

Au moment de sa découverte, la tombe de Nefertari avait été pillée depuis longtemps, et sans doute à plusieurs reprises.

Parmi les restes retrouvés par Schiaparelli se trouvaient des scarabées, des fragments du couvercle du sarcophage en granit (cf ci-dessous), et des fragments d'un couvercle de cercueil en bois doré.

Une trentaine de (ou Oushebtis, ces serviteurs funéraires qui devaient remplacer le défunt s'il était désigné pour une corvée dans l'au-delà) ainsi que ( d'une boîte contenant ces figurines furent retrouvés. Enfin, on mentionnera de nombreux tessons de poterie.
Une des niches ménagées pour les briques magiques dans la chambre funéraire contenait le en bois cloisonné avec incrustation de pâte de verre qui avait, un jour, décoré la brique. Il est inscrit au nom de la reine Nefertari.
Le fragment de de coffre, ou de pommeau, portant le nom de Ay a déjà été évoqué plus haut.

Quelques pièces du mobilier funéraire de la reine sont apparues sur le marché des antiquités de Louxor en 1904. Ils ont été rachetés par le musée de Boston. Il y avait là une grande plaque d'argent, une petite plaquette d'or emboutie, un pendentif en bronze, et quatre serviteurs funéraires.
Durant la restauration par l'Institut Getty, un fragment d'or appartenant à un bracelet fut trouvé dans une des annexes.
Enfin pour finir, humble mais émouvant objet délaissé par les pillards, une paire de sandales en corde (qui ne ressemblent pas à des poulaines…).

Le sarcophage de la reine

()

Un fragment du couvercle de granit rose fut retrouvé par Schiaparelli dans la tombe. Mais ce qui reste du couvercle se trouve au musée de Turin.
Le sarcophage était rectangulaire. Comme c'était la règle sur les sarcophages royaux de la XVIIIème Dynastie, il combinait des représentations figuratives et du texte. Ce dernier est réparti sur des bandes perpendiculaires, imitant l'emmaillotement d'une momie.
Au niveau des pieds se trouve Isis entre Nekhbet et Ouadjet, ce qui fait que l'on pense que, au niveau de la tête, devaient se trouver deux Anubis accroupis autour de Nephtys. Au niveau du visage, on reconnaît encore la déesse Nout, ailes déployées, autour du signe hiéroglyphique de l'or.
La supplique de Nefertari s'adresse à la grande déesse:
"[…] Descends, mère Nout, étends-toi sur mon corps afin que tu puisses me placer entre les étoiles éternelles qui sont en toi, et que je ne meure pas […]" et la déesse répond : " […] je m'étends sur le corps de ma fille, l'Osiris, la GÉR, maîtresse des Deux Terres, Nefertari aimée de Mout, Juste de Voix, dans le nom même de Nout, Ra lui-même t'a purifié. Ta mère Nout se réjouira de te conduire vers l'horizon, tu es Juste de Voix auprès du grand dieu" (Traduction : Anna Maria Donadoni Roveri).

Un mystère demeure : où est la cuve du sarcophage? A t'elle, comme d'autres, été sortie et remployée pour un autre défunt à la Troisième Période Intermédiaire ?
Un fait troublant est rapporté par Christian Leblanc : lorsqu'il a fouillé la tombe de la reine Touy, la mère de Ramses II, il a retrouvé des fragments d'un sarcophage de granit rose au nom de… Nefertari!
Leblanc propose que ces fragments proviennent bien de la cuve de la reine, traînée à l'extérieur de sa tombe puis fracassée, dont certains morceaux auraient été remployés par les nouveaux occupants de la tombe de Touy pour des aménagements internes.

Disons un mot de la momie : Schiaparelli n'en a retrouvé que les deux genoux dans la chambre funéraire, parmi des lambeaux d'étoffe provenant de la momification.
Une bien triste destinée pour "la plus belle de toutes".